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Espagne

Formentera : Baléares de ne rien faire

Sous le soleil exactementdossier
Cette île sœur d’Ibiza est bien plus discrète que sa voisine. Lieu de migration pour les hippies des seventies, il faut la redécouvrir aujourd’hui, arpenter ses plateaux, ses villages aux allures mexicaines.
Sur la route qui mène à la plage de Mitjorn. (Photo Valentina Riccardi)
publié le 4 août 2017 à 17h06
(mis à jour le 1er septembre 2017 à 10h42)

Tout le monde connaît Rome, Marseille ou Hambourg… Mais qui s’est arrêté à Castel Gandolfo, sur les bords de l’étang de Berre ou dans les rues de Brême? Pendant tout l’été, Libération part à la découverte de ces petits bijoux méconnus.

Le Formentera mythique, celui des années 70 où au détour d’un figuier ou d’un vieux moulin, on pouvait croiser les Pink Floyd, Bob Marley et Bob Dylan, s’est quelque peu perdu. Envolé dans un nuage de marijuana à bord d’une 2 CV… Comme le reste de l’Espagne, la plus petite île des Baléares s’est ouverte au tourisme. Les liaisons par bateau se sont multipliées, l’électricité est arrivée et les loueurs de voitures et de Vespa ont envahi le port, qui a agrandi sa marina pour accueillir hors-bord et yachts de luxe… Mais Formentera n’est pas Ibiza. Contrairement à sa clinquante voisine qui, depuis trois décennies, a fait des méga-fêtes electro et du tourisme de masse son credo estival, l’île fait de la résistance. Toujours pas d’aéroport, une grande partie de ses terres et du littoral classée au patrimoine naturel de l’Unesco, peu de permis de construire… Et alors qu’Ibiza et ses 2,5 millions de touristes se trémoussent sur les pistes de danse et les plages bondées (1), Formentera continue à jouer sa petite musique discrète. Mieux vaut quand même oublier juillet et août pour la découvrir. D’autant que dès septembre (et jusqu’en juin), débarrassée de ses vacanciers braillards et des people de l’été, l’île retrouve l’ambiance hors du temps qui fait sa réputation.

1/Les salines, mosaïque de lacs roses

Le voyage commence au port où l’on louera un scooter - ou un vélo si l’on a du courage (Formentera ne fait que 83 km² mais c’est une succession de caps et de plateaux). Passé la marina, on se dirige vers les salines pour rejoindre les plages au nord en empruntant, le long de la côte, un petit «chemin de sel» où se trouvait jadis une ligne de chemin de fer. Car avant que le tourisme ne devienne la principale source de revenus de l’archipel, c’étaient les salines qui faisaient tourner l’économie insulaire. Pendant des décennies, des centaines de wagonnets ont été remplis chaque jour sous le cagnard par les prisonniers politiques de Franco (les fondations d’un bagne sont encore visibles près de la route) avant d’être remplacés par des ouvriers payés une misère. De ce passé brûlant ne reste que la beauté du lieu : une mosaïque translucide de lacs roses séparés par des murets et des rigoles, paradis des oiseaux, des plantes grasses et des lézards.

2/Les Iletas, people et parasols

Le nord de l’île est une fine bande de sable blanc et de roches s’achevant face à l’îlot d’Espalmador. Bondées en août, les premières plages sont devenues le lieu de rendez-vous estival de tous les people qui y accostent depuis le yacht d’un milliardaire ami. Leur venue se déroule généralement en un ballet bien chronométré : arrivée d’un bateau pneumatique avec deux boys, tout de blanc ou de bleu vêtus, qui installent parasol, serviettes repassées, coussins et glacière. Un appel dans le talkie-walkie et un hors-bord quitte le bateau embarquant un vieux monsieur riche, une ou deux blondes en string et quelques célébrités tels Kate Moss, Naomi Campbell, Leonardo DiCaprio, Paris Hilton ou des joueurs du Real… Ce très beau monde débarque à terre, batifole dans l’eau ou s’ennuie autour d’un verre pendant un gros quart d’heure, avant de filer au restaurant Juan y Andrea, au Tiburon ou à Es Moli De Sal (additions salées comme le décor) pendant que les boys remballent parasols et bouées. On préférera une balade sous-marine avec masque et tuba, avant de remonter les plages en admirant çà et là les étonnantes sculptures réalisées en pierre, liège, bois et os de seiche par quelque artiste anonyme. Après une demi-heure de marche, il n’y a plus personne. On se retrouve seul face à la mer.

3/Sant Ferran, culte 70

Après la baignade, retour vers le passé avec un arrêt à la Fonda Pepe à Sant Ferran, un des quatre villages de l'île. «LE» bar symbole des années hippies, LSD et flower power, a peu changé en cinquante ans. Dans la grande salle carrelée très espagnole, les photos en noir et blanc perpétuent le souvenir des grands noms du folk et du rock qui y passèrent. Cuisine médiocre (Formentera n'a aucune tradition culinaire) mais fabuleux endroit pour prendre un cafe con leche sur la terrasse bordée de figuiers de Barbarie. La légende veut que Dylan, Led Zeppelin ou Jimi Hendrix y aient gravé leurs initiales sur les troncs centenaires. Ils sont en tout cas toujours présents en musique de fond jusqu'à l'aube.

A quelques kilomètres de là, au bord de la plage, le Blue Bar, autre lieu culte des années 70, arbore, lui, une déco psychédélique aux réminiscences extraterrestres issues d’un trip sous acide. Dress-code «adlib» souhaité - un style mêlant vêtements traditionnels des Baléares (chapeaux de paille, espadrilles, châles) et folklore baba de Bali, d’Inde ou de Katmandou.

4/Plateau de la Mola, la promenade au phare

Cap à l'est à l'assaut du plateau de la Mola, point culminant de l'île. Après une montée raide en lacets le long d'une route encadrée de pins, on tombe sur Pilar, village aux allures mexicaines d'une trentaine de maisons assoupies autour de son église. On traverse sans réveiller quiconque (le village ne s'anime que le samedi autour du marché hippie) et l'on poursuit sur le plateau désertique jusqu'au phare, dominant des falaises de 200 mètres. Une plaque y rappelle que le lieu fut source d'inspiration d'un des romans les plus hallucinés de Jules Verne, Hector Servadac. Et, de fait, on a vraiment l'impression d'être au bout de la Terre.

5/Plateau de San Francisco, chèvres en vue

Afin de poursuivre la balade, plutôt que de prendre les deux ou trois routes goudronnées qui traversent l’île de part en part, le plus agréable est de se perdre dans le dédale des sentiers de terre bordés de murs de pierres sèches, entre oliviers, figuiers, vignes et champs de blé, du côté du cap Berberia ou du plateau de San Francisco. Car Formentera, «la terre du froment», reste un pays d’agriculteurs. On croisera même quelques chèvres et cochons sauvages dans la zone désertique du cap. Le coucher de soleil y est un moment très «formentérien» où il n’est pas rare que des dizaines de badauds sortis de nulle part, assis en position du lotus au son d’une cithare indienne, accompagnent un verre à la main la tombée du jour.

On finira la journée au port de la Salina pour dîner dans un bar à tapas en regardant passer les bateaux.

(1) Formentera accueille l'été 120 000 touristes pour 11 400 habitants.