Ah l'Italie… Rome, Venise, la Toscane et… les Pouilles. Le talon de la botte est de plus en plus couru et les touristes vont désormais en masse arpenter les rues des vieilles villes de Lecce et Bari, ou bronzer sur les plages du Salento, le bout du bout de la péninsule, entouré par la mer sur trois flancs. Un brin moins fréquenté, l'intérieur des terres vaut également le détour. Parsemée de petites villes blanches (Ostuni, Martina Franca…), cette région agricole est découpée en grandes exploitations. Au cœur de chacun de ces domaines domine la masseria, une bâtisse imposante qui a longtemps servi à tout : maison des propriétaires, hébergement des travailleurs saisonniers, ferme, moulin, grange… Aujourd'hui, la plupart de ces masserias se sont mis à l'agroturismo : en parallèle à leur production agricole, désormais insuffisante, elles développent des offres touristiques diverses. Autant de haltes parfaites pour découvrir l'âme des Pouilles.
Au milieu des trulli
Le voyage commence quelque part entre Locorotondo et Cisternino. Ici, tout est blanc : les murs des villes, les murets qui bordent la moindre route, la chaux qui recouvre les pierres des trulli. Ces petites constructions circulaires aux toits en pointe sont omniprésentes sur une courte zone, la vallée d’Itrie - Alberobello, sorte de Disneyland du genre (quand même classé au patrimoine mondial de l’Unesco) est à quelques kilomètres de là - mais totalement absents du reste de la région. Les masserias du coin en sont donc logiquement pourvus, comme celle de Pomona, où l’on tombe au détour d’une route champêtre. Mais dans cet agriturismo, l’intérêt est à l’extérieur : on peut visiter son jardin incroyablement riche où 1 000 variétés d’arbres fruitiers cohabitent, dont plus de 500 espèces différentes de figues. Une fois la visite de cette arche de Noé de la biodiversité terminée, les productions locales (confitures, huile d’olive, savons, fruits séchés, etc.) sont disponibles à l’intérieur de la masseria.
Une nuit dans le poulailler
A quelques minutes de là, ce sont encore des trulli qui font le charme de la masseria Aprile. Construite au XVIIIe siècle, cette grande ferme familiale est aujourd'hui tenue par Anna et sa fille, Stefania, qui ont créé au début des années 90 un bed & breakfast - option choisie par de très nombreuses masserias des Pouilles. Entre les vignes, les oliviers et quelques poules, elles ont retapé l'endroit, qui bénéficie d'une vue imprenable sur la vieille ville de Locorotondo. Du coup, la production agricole s'est modernisée et réduite (on peut toujours acheter leur huile ou une bonne bouteille de vin rouge) et les voyageurs de passage peuvent dormir dans les anciennes dépendances de la ferme. «Les pièces ont gardé les noms de leurs anciennes fonctions», explique l'intarissable Anna en faisant visiter ses chambres, toutes ou presque dans des trulli. On dort donc au poulailler, à l'étable, au clapier ou à la grange, dans tous les cas très bien, à peine dérangé par le chant du coq à l'aube.
Un dîner gargantuesque
Plus au sud, du côté de Nardo, dans ce coin du Salento, les trulli ont disparu, mais on trouve toujours des masserias qui ont cherché à s'adapter à leur temps. Dans la bâtisse plus récente (fin XIXe siècle) de La Lucia, pas de chambres d'hôte ni de visite des alentours : tout se passe dans l'assiette. Les responsables du tourisme agricole y font briller leur production au fil d'un dîner gargantuesque - mieux vaut ne rien avoir avalé de la journée pour espérer en venir à bout. D'abord une montagne d'antipasti qui suffiraient à caler bien des creux, puis deux plâtrées de pâtes aussi bonnes que simples en primo piatto, une bonne viande du coin (par exemple du veau mijoté au vin rouge) en secondo et des fruits en dessert. Un menu immuable et fixe, accompagné de vin, d'eau et d'un digestif, le tout pour 30 euros. Tout vient des terres de la masseria, tout est fait maison (à commencer par les pâtes) et le lieu ajoute au charme, puisque l'on mange au milieu des anciennes mangeoires des animaux, d'ustensiles rouillés dont on peine parfois à deviner l'utilité et de vieilles unes de journaux qui nous font voyager dans l'histoire de l'Italie, des discours de Mussolini à l'assassinat d'Aldo Moro.
Des oliviers millénaires
Retour un peu plus au nord, entre la «ville blanche» d'Ostuni et la mer Adriatique, à la masseria Brancati. La bâtisse tranche avec ses airs d'hacienda : il faut dire que sa construction date de la domination espagnole de la région, au XVIIe siècle. Tout autour, des oliviers à perte de vue ; rien de bien original puisque l'on en dénombre plus de 60 millions dans toute la région - l'administration des Pouilles a même effectué leur insensé recensement en vissant une petite plaque en métal sur le tronc de chacun d'entre eux. Chez les Brancati (ou plutôt chez les Rodio, qui tiennent le lieu depuis sept générations), on n'en dénombre «que» 1 700, mais parmi les plus vieux de la région. Certains datent de l'époque romaine, et le plus âgé aurait environ 3 000 ans, soit avant Romulus et Remus… Et ils continuent de donner leurs fruits, encore et encore, même quand leur tronc est, par endroits, sec et vide. «C'est pour cela que l'on appelle ces arbres des immortels. Quoi qui leur arrive, même quand ils semblent morts, on ne sait jamais, ils peuvent toujours reprendre vie», conte Pietro, un jeune amoureux des oliviers qui nous fait visiter ces terres avec passion.
Après avoir arpenté les champs, il nous emmène dans une grotte où les Messapiens, puis les Romains et tous ceux qui leur ont succédé jusqu'au XIXe siècle ont pressé les olives, à l'aide de techniques en progrès constant, pour en obtenir la précieuse huile (celle qui servait aux lampes et pas à la cuisine) dans des conditions parfois très difficiles, les hommes dormant sur place, à un mètre du pressoir, au milieu des animaux… Puis les techniques ont évolué, la fabrication de l'huile s'est mécanisée, et aujourd'hui elle se fait même dans les cuves en inox de la ville voisine. A la masseria Brancati, restent ces grottes, ces oliviers majestueux, et leur murmure d'un autre temps qui rend humble.
Y aller
Il y a peu de vols directs. Sinon, faire escale à Rome ou Milan pour rejoindre Bari ou Brindisi.
Y manger
Masseria La Lucia Menu fixe et repas d'ogre à un prix dérisoire. L'été, on peut manger dehors et en musique. Les locaux adorent. Rens. : Agriturismolalucia.it
Y dormir
Masseria Aprile Du calme et beaucoup de charme chez Anna et Stefania. Idéal pour tester une nuit (ou plus) dans les fameux trulli. En prime, un délicieux petit-déjeuner maison avec une vue imprenable sur Locorotondo. Rens. : Masseriaaprile.it