Paul Valéry l'avait nommée «l'île singulière». Arnaud Schlama, 42 ans, guide de l'office du tourisme qui organise régulièrement une visite de Sète dans son minibus blanc, est plus pragmatique : «C'était une île de pirates, c'est devenu un port en eau profonde et une ville multifacettes.» Avec, notamment, une arrivée massive d'Italiens à la fin du XVIIIe et au début du XXe siècle. «Un tiers des Sétois ont des origines italiennes», affirme Arnaud Schlama.
1 Dans le quartier haut
On grimpe jusqu'au quartier haut, témoin de cette présence transalpine. Si on lève le nez en l'air, on peut presque sentir frire l'huile d'olive ou griller la seiche et la daurade. Notre accompagnateur précise, rigolard : «Ici, ils n'ont pas le téléphone, ils ouvrent la fenêtre.» En tendant l'oreille, on entendra facilement le parler sétois, dialecte mélangeant des mots venus d'Italie (Cetara, Naples, Gaète…), de Catalogne, d'Afrique du Nord ou d'Occitanie. Catherine Lopez-Dréau, ancienne directrice des archives municipales, rappelle que les Transalpins vivaient ici à proximité de leur lieu de travail, sur le port de commerce. Et il n'était pas rare que les nouveaux arrivants italiens s'entassent à dix ou quinze dans des appartements minuscules : en bas, la pièce principale et la cuisine, lieu de vie et de travail ; au premier étage la chambre à coucher. C'est un habitat «peu aisé», poursuit Catherine Lopez-Dréau, avec des chambres obscures et très peu de fenêtres. «Aujourd'hui, ils recherchent de l'espace, et ceux qui ont gagné beaucoup d'argent dans les années 50 et 60 reviennent avec des bateaux plus puissants.» Certains conquièrent les pentes du mont Saint-Clair ou vont s'installer dans les villages alentour, appréciant le côté ostentatoire.
2 Au port
En pleine ville, de gros bateaux sont amarrés le long du canal. La flotte sétoise appartient aux trois quarts à des armateurs italiens, répondant aux noms d'Avalone, Giordano et autres Di Maio. Mais, prévient l'historien Robert Gordienne, il n'existe pas de «lobby italien».
Dans le port de Sète, fin novembre. Photo Anaïs Boileau
Il faut dire que ces derniers n'ont pas toujours été les bienvenus. L'intégration s'est faite petit à petit. «Ils laissaient un membre de leur famille à Sète, puis revenaient avec les autres, explique Arnaud Schlama. Ils ont apporté leur savoir-faire et, comme la vie était plus facile ici, ils sont restés.» Les Italiens ont ainsi construit des barques catalanes pour la pêche au poisson bleu, ou des bateaux bœufs (regroupés par deux, ils tiraient le filet derrière eux, comme un attelage). La pratique des joutes, ce combat à la lance qui se tient sur les canaux pour renverser l'adversaire et le faire tomber de sa «tintaine», a également popularisé la communauté.
3 Au cimetière marin
Il faut grimper au cimetière marin, que Paul Valéry a immortalisé dans un poème, pour mesurer l’importance de la présence italienne dans la cité sétoise. Des noms sur les stèles finissant par «a», «i» ou «o», une vue imprenable sur le bleu azur de la Méditerranée omniprésente, des vierges penchées, quelques arbustes pour apporter une touche de vert.
Pourtant, pour Isabelle Felici, agrégée d'italien et fine connaisseuse de l'histoire locale, «beaucoup de Sétois ne savent pas grand-chose sur l'origine de leur famille». Georges Brassens, Sétois d'origine enterré ici, racontait que sa mère était napolitaine mais ne s'est jamais vraiment penché sur ses origines. A l'exception de Santa Lucia, il n'a pas chanté en italien. Comme beaucoup d'autres, «il avait une forme de retenue par rapport à sa langue perdue», explique Isabelle Felici. Il fallait absolument parler français à la maison (l'italien était proscrit) et aller à l'école. L'universitaire pense que le livre de François Cavanna les Ritals a décomplexé bon nombre d'immigrés : «Jusqu'aux années 70, il n'est pas de bon ton de s'afficher italien.» Puis tout change dans les années 80 : les maisons sont repeintes avec des couleurs vives, comme dans certaines cités italiennes. Depuis les fenêtres et les balcons des petits immeubles de trois à quatre étages surplombant le canal, les habitants ne perdent pas une miette du spectacle : on vit ici tourné sur le dehors, et l'air marin entre par pleines bouffées dans les couloirs intérieurs.
4 A table
Les cafés constituaient des lieux de rassemblement pour les pêcheurs italiens, qui y buvaient leur petit noir dans un verre, plutôt qu’une tasse. Les restaurants les plus fameux ne paient pas toujours de mine, on y est entre soi, on épie la conversation d’à côté, et le plat du jour vaut toujours mieux que les spécialités de la carte.
Tourte au poulpe et à la tomate, la tielle a été importée de Gaète (Latium) à la fin du XIXe. Photo Anaïs Boileau
Le culte de la mamma est encore très ancré. Celle qui régnait dans la maison vendait aussi les produits de la mer - présentés sur un chariot car, à l'époque, point de glacière, on devait vendre le poisson le jour même.
A table, quelques spécialités comme la tielle, importée de Gaète (Latium) à la fin du XIXe siècle. Adrienne Verducci (1896-1962) fut la première à la commercialiser à partir de 1937. C'est une tourte ronde, aux bords cannelés, avec une garniture de poulpes, coupés plus ou moins finement et mélangés à une sauce tomate pimentée. Elle se consomme généralement en entrée, froide ou tiède. Il ne faut pas oublier non plus les brageoles, ces rouleaux de viande (essentiellement du paleron de bœuf) assaisonnés d'ail et de persil. Enfin, outre les coquillages de l'étang de Thau, il faut goûter la bourride, un ragoût de baudroie ou de poissons blancs lié à l'aïoli.
Autre fleuron de la gastronomie sétoise, la macaronade. Prononcé en italien «macaronadé», le nom est un mélange de dialecte napolitain et d’occitan, autrefois parlé dans le milieu de la pêche sétoise. La légende locale veut que chaque famille garde secrète sa propre recette. Il existe en effet de nombreuses variantes, selon la viande (chair à saucisse, paupiette de veau, lardons…), la sauce tomate et le type de pâtes (spaghettis de grosse taille, macaronis, penne rigate, etc.) utilisés. De la viande au poisson, du canal aux ruelles, Sète se découvre et s’apprivoise jour après jour, sachant que, quelque chemin que l’on prenne, on parviendra sans doute à la mer.
Y manger
Le Grilladin cettois. Pour de simples brochettes sur le port. 13, quai Maximilien-Licciardi.
Le Passage. Un restaurant de fruits de mer à la Pointe courte, le quartier des pêcheurs.
1, quai du Mistral.
La ferme marine des Aresquiers. Dans une ambiance familiale, Henri et Claire-Lise Boissier proposent leurs vins, coquillages et crustacés, en vente directe ou lors de repas à la ferme, où ils organisent des soirées concerts.
[ lafermemarinedesaresquiers.fr ]
Y dormir
Hôtel Le National 2, rue du Pons-de-l'Hérault, (près de la gare). www.hotellenational.fr
Plus chic : le Grand Hôtel de Sète 17, quai de Tassigny. www.legrandhotelsete.com