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Porquerolles

Fondation Carmignac, bouffée d’art à Porquerolles

Sous le soleil exactementdossier
Ce lieu d’art contemporain qui s’étend sur 2000 m2 d’exposition et un jardin de 15 hectares, se visite pieds nus et affiche la volonté d’attirer un public qui ne fréquente pas, ou peu, musées et galeries.
Porquerolles, le 9 juillet 2019, France. L'oeuvre de l'artiste espagnol Jaume Plensa, "Les trois Alchimistes", un des trois visages d'enfants en bronze qui semble veiller sur l'île comme les Moaï géants de l'ile de Paques, à la Fondation Carmignac. Merci SVP de rajouter ADAGP au crédit !
publié le 6 septembre 2019 à 17h56
(mis à jour le 9 septembre 2019 à 13h24)

sur un océan de roseaux vogue un corps de ferme en pierre de garrigue ocre. Les tuiles dépassent à peine la ligne d'horizon. C'est un mas du Midi très classique, si ce n'est le miroir mural géant en forme de Méditerranée qui reflète l'infini des cieux. Ici, sur l'île de Porquerolles, un ailleurs insulaire de 12 km2 à 15 minutes de bateau de Hyères (Var), s'est installé en 2018 le chapitre local de la fondation d'art Carmignac, fondée à Paris en 2000 : 15 hectares de land-art, de nature scénographique semi-sauvage, dont 2000 m2 de galerie souterraine. Un projet osé, qui accueillent chaque année (d'avril à novembre) un art contemporain exigeant. Le tout avec l'intention de ne pas déranger le paysage préservé de cette île luxuriante de 300 habitants.

Dernier-né dans le Midi de ces lieux d'art avec vue (après la Commanderie Peyrassol ou le Château La Coste), Carmignac partage avec son fondateur une étrangeté bienvenue. Edouard Carmignac, président atypique d'une société de gestion d'actifs, a étudié à New York où il fréquenta Keith Haring, Andy Warhol ou Jean-Michel Basquiat, qui dessina même son portrait. Depuis un Max Ernst acheté en 1989, il collectionne au coup de cœur. Avec 300 pièces au compteur, il prend le maquis en 2018, direction Porquerolles, ce refuge que son fils Charles, ancien musicien de Moriarty et actuel directeur de la Fondation, décrit comme «un vertige, car il n'y a que l'infini tout autour. Une forêt en pleine mer, qui dispose l'esprit à accueillir un choc spirituel». Assez intrigant pour vouloir explorer cette île énigmatique, parc national depuis 2012, qui, du bateau au départ de la presqu'île de Giens, dessine sur l'horizon une émeraude de canopée nimbée de brume.

Pins parasol. En 1912, le joyau est acheté par l'aventurier belge globe-trotter François-Joseph Fournier pour un million et cent francs exactement. Il y perce des chemins, plante des vignes, ouvre une coopérative agricole philanthropique… Ses voyages imprègnent l'île sauvage : le microvillage est pensé comme une hacienda mexicaine, avec façades roses et volets vert amande organisés autour d'une immense cour - ici, un damier de terrains de pétanque. Hors village, les pins parasols se ferment en voûte pour les marcheurs et les cyclistes (les voitures y sont interdites), créant un labyrinthe sensoriel saturé de cigales, d'effluves de pins et d'eucalyptus. Ne reste qu'à débusquer, au hasard des sentiers, une plage à son goût avec une eau invariablement turquoise. Outre les grandes classiques (Notre-Dame, élue plus belle plage d'Europe en 2018 par European Best Vacations), chacun ici a ses endroits secrets, déserts même en été. Adèle Le Ber, arrière-petite-fille de François-Joseph Fournier, consent à nous lâcher quelques bons plans : «Les Chevreaux, la Vigie, les Salins…» Voilà pour l'écrin.

L'oeuvre de l'artiste Vhils "Scratching the surface Porquerolles" est gravée sur le cabanon vu dans "Pierrot le fou" de Jean-Luc Godard. Photo Katie Callan pour Libération

Poupée russe suivante : cette ferme avec cabanon vue dans Pierrot le Fou,transformée en villa dans les années 80, et qu'Edouard Carmignac découvre lors d'un mariage de Jean Rochefort. Un jour, se dit-il émerveillé, il l'achètera et en fera un lieu dédié aux arts.

Assemblage monumental de palmes avec un masque de bronze, un impérial Alycastre (monstre marin envoyé par Poséidon sur l’île et qui fut terrassé par Ulysse) fait basculer dans la villa devenue galerie. Revisitée par le sculpteur Miquel Barceló, la statue veille sur les jardins et la villa. Laquelle se mérite : passer les garages à vélo de la pinède, ingurgiter une subtile décoction d’herbes du maquis concoctée par le «druide» local Olivier et offerte devant une petite carriole ombragée, remonter un chemin de gravier entre deux restanques qui débouche sur une île intérieure, la villa. Celle-ci s’est creusé un terrier dans les entrailles de la colline, avec son stupéfiant plafond de verre et d’eau qui crée vaguelettes et ombres portées sur le sol. On s’y enfonce en suivant les rhizomes de l’installation de Janaina Mello Landini pour découvrir des œuvres de Maurizio Cattelan, Thomas Ruff, du chouchou Roy Lichtenstein ou de De Wain Valentine. Pieds nus demandés, pour reconnecter à la terre et estomper le cérémonieux.

Jusqu'à la fermeture hivernale, cette année 2019 accueille «la Source», une cinquantaine d'œuvres tirées aux trois quarts de la collection Carmignac par la commissaire Chiara Parisi, ainsi qu'une monographie sexocentrique de Sarah Lucas. Une expo plus pointue que celle de 2018, aux pièces de Basquiat, Warhol ou Giacometti. Les néophytes sont parfois surpris. «La sécurité m'a récemment appelé car un homme avait passé tout l'après-midi figé devant un Richter, raconte Carmignac fils. Il m'a dit ne rien connaître en art, mais qu'il avait vu toute sa vie défiler dans ce tableau.»

Dans le village, les commerçants ont ressenti l’effet de la fondation : Carmignac apporte une nouvelle clientèle d’été, en attendant peut-être qu’elle mette un jour du beurre dans les épinards lors des saisons creuses, si elle reste ouverte aussi l’hiver.

Jeune visiteur naviguant dans l'oeuvre de l'artiste danois Jeppe Hein "Path of Emothions". Photo Katie Callan pour Libération

Labyrinthe. «Viens, on va à la plage», tonne une maman en vélo. Son gamin :«Mais je veux aller voir les arts contemporains, moi !» Normal : il a l'air, et il est, diablement fun, ce parcours de sculptures à la sortie de la villa. Il zigzague à travers un jardin soigneusement sauvage signé Louis Benech, entre yuccas bleus et jaracandas pour les exotiques, genêts à feuilles de lin et sérapias pour les endémiques.

A l’accueil, des fascicules consignent la liste des essences et celle des œuvres. Parmi les préférées : un labyrinthe de miroirs signé Jeppe Hein, le nid d’œufs géants de Nils-Udo couvés par la pinède, les trois visages d’enfants allongés et, très île de Pâques de Jaume Plensa, l’œil géant buriné sur le flanc d’un cabanon par le street-artiste Vhils.

La visite se coupe par un lunch de carte postale, sous les pins, où même le dessert envoie à la recherche d'une œuvre cachée de David Horvitz. Symbolique l'air de rien, ce dessert : il est ce trait d'union entre ce que l'île fut et son remix, rendant sa singularité d'antan encore plus attirante. Au point qu'elle a fini par devenir une «île-organe», comme la voit Fabrice Hyber sur la fresque qui sert de synopsis à l'expo. «Un paradis, conclut Charles Carmignac, pour chercheurs de métamorphose.»

Le prix 2019 pour Tommaso Protti

Chaque année, la fondation Carmignac remet un prix dédié au photojournalisme, à partir d'une zone géographique prédéfinie. Annoncé cette semaine dans le cadre du festival Visa pour l'image de Perpignan (lire pages 34-35), le lauréat de la 10e édition, centrée sur l'Amazonie, est l'Italien Tommaso Protti. Il sera exposé début décembre à la Maison européenne de la photograhie (MEP), à Paris.

Y aller

Fondation Carmignac, piste de la Courtade, Porquerolles. 15 mn de marche depuis le débarcadère. Exposition «la Source» jusqu’au 3 novembre.

Y dormir

Villa Sainte-Anne. Belles chambres et grande terrasse, place d’Armes. De 160 à 290 €. Rens. : Sainteanne.com

Le Mas du Langoustier. Prestations luxe et vues à couper le souffle, à partir de 270 € en saison, 175 € hors saison. Rens. : Langoustier.com.

Y manger

La cantine Carmignac, dans la pinède, de 18 à 25 €. Fermé le soir. L’Oustaou de Porquerolles, place d’Armes, de 20 à 40 €.

Y pédaler

Voitures interdites sur l’île. L’idéal reste donc de louer un vélo. VTT 20 € par jour.

Y plonger

Le Cimentier est une épave de bateau facile d’accès et les écoles de plongée proposent un baptême et sa découverte.