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Libération

Ils tutoient leur rêve

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publié le 21 février 1995 à 0h57

Isabelle Autissier raconte l'état d'esprit des marins à l'approche

du cap mythique, qui marque la sortie du glacial océan austral.

Ils tutoient leur rêve - Le Horn... Cela fait des jours qu'ils ne pensent qu'à lui, qu'ils comptent trois fois par jour les milles qui les en séparent. Depuis le départ de Sydney, c'est leur balise mythique. Déjà, entre les deux, il y a eu le passage de l'antéméridien qui leur a fait dire: «Maintenant, on rentre à la maison». Mais plus fort est le Horn.

Avant lui, ils sont encore la proie du Sud imprévisible. Loin de tout et de tous, ils affrontent leur vulnérabilité. L'océan austral, sans état d'âme, les lumières sans pareilles, les brumes cachant la traîtrise d'un iceberg, des vents et des mers qu'ils n'avaient pas imaginés. Le Horn est la fin de tout cela. Des vents rageurs peuvent encore les surprendre en remontant la côte argentine, mais le plus dur sera fait. Le froid, peu à peu, va lâcher prise, l'onglée ne les saisira plus lors des manoeuvres. Surpris et peut-être déjà nostalgiques, ils s'attarderont sur le pont à contempler la lumière ou le vol des derniers albatros.

Le Horn, c'est aussi la terre, après ce long désert d'eau. Même si elle est synonyme de pièges supplémentaires (hauts fonds, courants, pêcheurs), de veille et de fatigue, c'est la terre, sa trace réconfortante sur l'horizon, son voisinage amical sur la carte. Toujours seuls à bord, ils se sentent moins isolés, car avec la terre ce sont les hommes qui se rapprochent. La régate