Sestrières envoyé spécial
La salle communale de Lanslebourg est un refuge de haute montagne. Autour d'une longue table, les coureurs se serrent les uns contre les autres. Au creux de leurs mains jointes, ils tiennent une tasse de thé ou de café fumant et l'approchent de leur visage pour le réchauffer. On les masse, on leur enduit le corps de graisse. Dehors, dans la Haute-Maurienne, c'est juillet. Une brume noire mange les cimes, un vent de neige cogne aux fenêtres closes. Bruno Roussel, directeur sportif de Richard Virenque, regarde ses hommes, leur mine est grave: «Vous pourrez dire que vous y étiez! Personne n'a jamais vu ça sur un Tour de France!» On cherche encore ceux qui pourront le contredire. Ils n'étaient pas dans le peloton: les coureurs n'ont parcouru hier à bicyclette que les 46 derniers kilomètres d'une étape qui en comptait 189 et, piqués au vif par le phénoménal Bjarne Riis, ils en ont fait une mémorable bataille. Ils n'étaient pas non plus au bord des routes: sur les pentes du Galibier, dans la pluie, dans le froid, un public, abattu, incrédule, regardait passer à l'arrière des berlines les champions qu'il attendait depuis l'aube.
La première image au réveil laisse penser que la journée ne sera pas ordinaire. Un skieur en combinaison et capuche remonte la grand-rue de Val-d'Isère avec ses skis sur l'épaule. Un bulletin radio dit aux vacanciers de ne pas s'exciter: «Ne vous précipitez pas, les remontées mécaniques ne sont pas encore ouvertes!» Il fait 3 degrés.