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Libération

Isabelle Autissier en direct de l'océan. Le temps qui passe et celui qu'il fait

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publié le 26 novembre 1996 à 0h58

Lundi 25 novembre

par 29°58 sud et 15°19 ouest Un grain arrive qui noircit l'eau.

Je monte manoeuvrer, un autre passe au loin, qui me laissera du répit. Un jour passe, un autre et une nuit encore. Le temps n'a plus d'autre rythme que celui de ces grains ou de ces éclaircies. Le ciel a été grisâtre presque tout le temps depuis le départ, et ce doux coton accentue la perte de repères. Je parviens encore à m'apercevoir du week-end, car subitement il n'y a plus de message sur mon fax... mais d'ailleurs qu'importe les jours et les dates. Mon compte se fait en latitude et, bientôt, dès que nous aurons rejoint les 40es, la longue litanie des longitudes commencera. Oui, que m'importe midi ou minuit, qu'ai-je à faire des lundis ou des vendredis. C'est le temps qu'il fait et non le temps qui passe qui est mon maître.

Déjà, pourtant, je me surprends à supputer et à compter: «Ouais... 330 milles aujourd'hui, super. A ce train là, je suis arrivée dans... Mais non, idiote, tu ne feras pas 330 milles tous les jours...bon, bon, on peut rêver, non?» Et le temps reprend son cours. Les 20es sud me filent entre les doigts comme un collier de perles cassé. Demain, j'attaque les 30es, et puis... et puis... commencera la sarabande. Toute cette descente de l'Atlantique n'était qu'un long tour de chauffe.

Le vrai départ est quelque part au sud de Cape Town, dans le gris et le froid.

J'ai hâte, et en même temps je retiens mon souffle. Toréador pénétrant dans l'arène, chevalier s'apprêtant au tou