Perpignan envoyé spécial
La route qui mène de Céret à Las Illas est étroite. Elle laisse à flanc de coteau les dernières maisons estivales, puis surplombe les cerisaies redevenues sauvages et monte encore, en serpentant entre les chênes-lièges, dans un paysage vertigineux de montagne méditerranéenne. Après Las Illas, hameau qui semble éloigné de tout, c'est la frontière, par le col de Manrella, 716 mètres.
Luis Companys, premier président de la généralité de Catalogne, a passé ce col en 1939, fuyant la victoire franquiste. La route, côté français, ressemble à un chemin de contrebandiers et débouche sur un petit plateau qui marque le sommet du col. Elle redescend, large et goudronnée, vers la Catalogne espagnole. L'endroit est beau comme un songe virgilien. Il est couronné d'une stèle de granit à la mémoire de Companys. L'inscription en catalan parle de la liberté, dit que la mort n'est pas vaine quand on a vécu pleinement. Le tout est daté d'octobre 1981.
En fait, Luis Companys n'a pas franchi ce col-ci mais un autre, un peu plus loin. Réfugié à Arcachon, il fut capturé en 1940 par les Allemands et remis à Franco, en passant par le territoire contrôlé par Vichy. Trajet en raccourci à travers les espoirs, les haines et les lâchetés du siècle. Les monuments commémoratifs ne disent jamais ce qui convient, laissant deviner plus que ce qu'ils veulent dire. Luis Companys fut un brave et grand homme mais un politique intempestif. Il est aujourd'hui un héros catalan et les habitants