Simon Fenn est un joueur de rugby australien au visage rosi par les
brumes froides de la banlieue londonienne. Ce troisième ligne débonnaire à qui ses partenaires du club des London Scottish donneraient du 200 ans d'âge sans confession particulière est à la base d'un débat qui secoue l'Angleterre du rugby depuis le 10 janvier dernier, jour où il sentit qu'on lui arrachait le lobe de son oreille gauche. Bath recevait sur son terrain baroque la rustique équipe des Ecossais de Londres quand, à la sortie d'une mêlée extraordinairement anodine, le très courtois public des bords de l'Avon stupéfait couvrit le son du petit torrent dont on perçoit en toute circonstance le paisible glouglou. Le visage et le maillot en sang, un monstre jaillit d'un amas de corps fumants et s'affala sur la pelouse avant d'offrir sa blessure au médecin accouru sur la pelouse. A ce moment-là, l'affaire était entendue. Restait à trouver qui avait mordu ce précieux bout de chair. Le travail avait été fait proprement, on put recoudre l'oreille cassée. L'opération nécessita vingt-huit points de suture. Ce qui est une chance dans un sport où il est arrivé que, pour se disculper d'un tel moment de bestialité, un Français avait préféré, naguère, avaler la preuve de sa culpabilité.
Bath, club chic et au-dessus de tout soupçon, mène une enquête interne après avoir reçu le témoignage de l'infortuné Fenn, qui, formel, désigne Yates comme le responsable de sa mutilation. Ce dernier hurle son innocence, mais Tony Swift