Dans la ville ravagée, en ces premiers jours d'été, un stade est devenu l'enjeu d'un conflit haineux, absurde et surréaliste, mais qui n'étonnera pas ceux qui ont pénétré ces ruines envahies par une végétation luxuriante et un esprit de mort. L'affaire remonte à la fin de la guerre, à l'automne 1991. Au coeur d'une ville assiégée depuis trois mois, à l'approche d'une reddition, sous une pluie d'obus, les derniers habitants, essentiellement croates, entreposaient leurs morts où ils pouvaient, et notamment sur la pelouse du stade Sloga. Quelques temps plus tard, après la chute de la ville et l'évacuation de sa population, les conquérants serbes enterraient une partie des cadavres dans des fosses communes à l'extérieur de la ville, mais aussi, très probablement, dans l'enceinte même du stade.
D'expérience, on sait que le ballon résiste aux pires duretés de la guerre. Néanmoins, à l'époque, à cause de ce charnier, on pensait ce stade perdu à jamais pour le football, d'autant que pas moins de trois cents obus l'avaient crevassé. C'était méconnaître Vukovar. Aujourd'hui, en effet, entre une église détruite où un couple de cigognes a posé son nid, des immeubles sans fenêtres peuplés de chômeurs, une rue de pavillons sans toits et envahis par les ronces, le stade Sloga a retrouvé sa coquetterie provinciale d'antan. Derrière des grilles redressées, la pelouse est rasée de frais; sous la toiture retapée de sa tribune, des sièges en plastique rouge viennent d'être fixés; des anciens du