Saon, envoyé spécial.
Il avance à pas comptés sous le crachin. Les lèvres en récolte, il grappille de touffe en touffe, sa croupe détrempée fait rempart à un fort vent du sud-ouest. Entre ses cuisses, son panache, en virgule dans le sens du courant d'air, cache-sexe doré. A peine un regard pour le visiteur, pas un seul pour les deux bébés pur-sang de l'enclos voisin qui jouent sans répit.
Alors que se dispute dimanche le 80e Prix d'Amérique, Ourasi, trotteur le plus fameux du siècle, est fidèle à son image, à cette apathie légendaire. Neuf ans après son inégalé exploit gagner un 4e prix d'Amérique , il trône, impassible, détaché. Et jardine son domaine; un vaste pré du haras de Gruchy, dans le Bessin, non loin de Bayeux, comme jadis il se rendait au départ des prix, avec une extrême indolence.
A presque 19 ans, il n'a guère changé: robe de feu, alezan brûlé aux reflets pain d'épice, carrure de buffle d'où s'élance une encolure puissante, terriblement souple et musclée. Et ce visage de braise, si sûr de lui, énigmatique, qu'il visse dans les nuées, sa mèche rousse peignée par le vent, captivé par quelque mystère ne parlant qu'à lui. Une fois le visiteur mouillé jusqu'à la couenne, enfoncé à mi-mollet dans l'herbe spongieuse, Ourasi s'avance à grands pas et projette sa bestiale encolure par-dessus la barrière. Quelques poils blancs supplémentaires parsèment le chanfrein et une sorte de tumeur osseuse sur le côté droit de la face qui lui masque en partie l'oeil. Il accepte la m