Dans la face nord des Grandes Jorasses, cette immense muraille
bleuâtre au fond de la mer de glace, il y a un écheveau invisible: vingt, peut-être trente voies d'ascension dans ces 1 200 mètres presque verticaux, tracées depuis que Ricardo Cassin résolut ici même, en 1938, l'un des «trois derniers problèmes des Alpes». Pour les initiés, il restait un problème, un bouclier de dalles de granit dans le haut de l'éperon Whymper, que les précédents ascensionnistes avaient tous évité.
Valery Babanov a résolu cet ultime problème, seul, en douze jours. L'alpiniste russe a commencé son ascension le 16 juillet, après trois jours de portage pour acheminer ses 45 kilos de matériel au pied de la paroi. Progressant rapidement les deux premiers jours, dans des longueurs de glace très exposées aux chutes de pierre, il a ensuite «travaillé» avec constance, s'élevant chaque jour d'un peu plus de 100 mètres, souvent dans le mauvais temps. «A partir du troisième jour, dit-il, j'avais dépassé les surplombs. La retraite aurait été impossible"» Le 27 juillet, il était au sommet des Grandes Jorasses.
Depuis quatre ans, Babanov était aimanté par cette paroi. En 1995, il y avait fait sa première course dans le massif du Mont-Blanc (le Linceul en solo, comme les stars des années 80) et depuis, il ne se passait pas une saison sans qu'il vienne y frotter ses crampons. Echecs et hésitations. On croisait dans Chamonix ce jeune homme à l'air sage, le front caché par une mèche châtain bien peignée et toujou