Jean-Pierre Payot, 71 ans, a les cheveux blancs comme neige depuis quarante-cinq ans. Depuis ce 25 novembre 1955, où son meilleur ami, Louis Lachenal, disparut sous ses yeux dans une crevasse. Il n'a rien oublié de ce jour-là: «On est sortis du téléphérique, là-haut à l'aiguille du Midi, il y avait peut-être 100 km/h de vent" et ça le mettait en joie! Il criait: "C'est la cousse, ça fouette le sang. J'ai bien essayé de lui dire qu'on serait mieux au chaud à Chamonix, mais c'était une bourrique, Lachenal. Quand il s'était mis quelque chose dans la tête, il n'y avait pas moyen de l'en faire sortir. Le vent dans la gueule, nous avancions à peine. Il m'a encore dit: "Y a le pet, j'aime ça. Ce furent ses derniers mots. J'ai entendu un bruit, je me suis retourné, plus personne. Le temps que je remonte deux mètres, jusqu'au bord de la crevasse, j'entendais encore le bruit de ses nouveaux skis métalliques claquant sur les parois de glace. J'ai appelé. Rien. Il était mort sur le coup, nuque brisée.»
Louis Lachenal meurt à 34 ans, la même année que James Dean, qui n'aurait pas conduit plus vite que lui sur les routes des Alpes. La gloire avait frôlé cet alpiniste météore, front dégarni, mèche au vent et regard allumé. Le 3 juin 1950, Maurice Herzog et lui furent les premiers à fouler un sommet de plus de 8 000 mètres, l'Annapurna. La France de l'après-guerre tenait sa revanche; pendant plusieurs mois, elle se laissa emporter dans un tourbillon d'«annapurnamania». Il fallait des héros?