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Libération

Murray, les diagonales du fou

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Imprévisible, parfois colérique, il entraîne le Français Igor Nataf.
publié le 29 août 2000 à 3h48

Vichy envoyé spécial

Son regard se carapate. Ses mots se télescopent. Sa mémoire se bouscule. Jacob Murray est un homme perdu pour le monde, mais gagné par le jeu d'échecs. Casquette vissée sur de rares cheveux en bataille, tee-shirt maculé, veste en vrac, il vient de quitter à regrets la salle obscure où, sur un écran géant, les pièces dansaient doucement sur l'échiquier. Et où son élève, le grand maître français Igor Nataf, s'est embrouillé dans une flamboyance vaine. Avant de s'abîmer. Alors, Murray souffre. Physiquement. La veille, il est parti dans une colère sans fond pour une partie perdue, malgré ou à cause de la pureté du jeu de son poulain. «ça a duré six heures, six heures d'engueulades», se rappelle Nataf. Qui en sourit: «C'est comme ça avec Jacob, un fou génial. Un fou généreux.» Un personnage de roman. Egaré entre le joueur d'échecs de Zweig ­ dont la grâce peut lui faire jouer une autre partie idéale que celle qui se déroule ­ et la marche du Loujine de Nabokov, vers le néant, vers «l'éternité qui s'ouvrait devant lui, accueillante, inexorable».

En marge. Nataf et Murray se sont croisés, un jour, dans un cercle parisien. Le môme avait 11 ans et un boulevard d'intelligence devant lui. Ses yeux pétillaient de désir d'approcher les mystères des échecs. Les pions valsaient dans des parties de cinq minutes. Murray a jeté un regard furtif. Le môme a osé demander conseil. L'autre a analysé. Des heures durant, ils ont discuté «variantes», «positions», «lignes». Depuis,