En un peu plus d'un quart de siècle, le colosse qui entre en lice dimanche à Londres contre Garri Kasparov aura déjà épuisé au moins deux vies. Sous son allure placide, Vladimir Kramnik possède une étonnante propension à griller l'énergie. Il y a de la démesure chez ce Russe méridional, une sérieuse dose d'autodestruction alliée à une exceptionnelle volonté d'en découdre avec son propre destin. Né le 25 juin 1975, Kramnik est sûr de sa force et de ses choix. Qu'il gagne ou qu'il perde ce choc au sommet entre les deux meilleurs joueurs du moment, cet ancien enfant prodige, petit génie estampillé très vite «disjoncté perpétuel à l'alcool et au tabac», ne sortira pas indemne d'un mois de duel avec l'ogre de Bakou. Les meilleurs s'y sont abîmés. Pour l'enfant de Tuapse, sur la mer Noire, cette épreuve si particulière qui ébranle les systèmes nerveux et jusqu'aux personnalités des joueurs constituera une nouveauté.
Conservateur. Tout le problème est là: ce qui est nouveau, Kramnik n'aime pas. Des vingt plus forts joueurs de la planète, le prétendant à la couronne mondiale est le plus conservateur, le plus prudent, le plus solide aussi dans le répertoire de ses ouvertures et dans cette façon si caractéristique de gérer le milieu de partie. Là ou Kasparov prend son risque, sacrifie les pièces à l'intuition, invente de nouvelles voies dans la conduite des pièces blanches ou noires, Kramnik, lui, répète la théorie, reste dans ses schémas, attend son heure pour faire jouer une techniqu