Philippe, dans sa fuite, nous a laissé son encrier. Quand nous serons secs, nous irons y tremper notre plume. Alors on sentira se gonfler dans le mollet gauche notre grosse veine de cycliste; puis ce sera au tour de la patte droite de prendre du volume. Les gens se frotteront les yeux et nous pourrons enfin leur livrer le secret du service des Sports: l'esprit de Philippe Rochette monte toujours en nous par capillarité.
Philippe Rochette, mort d'un cancer dans la nuit de jeudi à vendredi à 46 ans, est inhumé aujourd'hui à Montrouge. Il avait un ballon ovale dans le coeur. Si bien que le rugby irriguait tout le corps de ce doux colosse. Sa passion du rugby, Philippe l'a fait partager, avec talent, aux lecteurs de Libération comme à ceux de la revue Attitude Rugby, qu'il contribua à lancer. Mais elle ne l'aveuglait pas. Il n'était d'aucune église, d'aucune chapelle; il était extrêmement libre. Mais toujours aimablement ironique. Il avait le verbe clair et une vision juste des choses. Philippe était tombé dans la grammaire tout petit. Il lui arrivait de nous tirer l'oreille, si bien qu'on avait souvent les oreilles en feu dans le journal.
Philippe? On le jalousait parce qu'il domptait les mots. Il adorait faire son miel des convulsions du sport. Il s'y amusait avec énormément de sérieux. Philippe Rochette faisait preuve d'une grande curiosité. Il sut aussi bien parler/écrire avec tendresse et rigueur du cyclisme sous dope lors du Tour 1998, de la lutte, du base-ball ou de la boxe