Pour définir l'homme andalou à travers sa façon de bouger, le philosophe Ortega y Gasset disait qu'en lui, rien n'était anguleux, et qu'en outre il se complaisait dans une «relative morosité voluptueuse». Ortega y Gasset pensait peut-être au torero sévillan Manuel Jimenez «Chicuelo», dont on célèbre cette année le centenaire de la naissance. En tauromachie, Chicuelo, né à Séville dans le quartier de Triana, détestait les angles et toréait gaiement, avec un visage de poupon mélancolique. On a comparé l'enjouement de son style avec les paroles enlevées d'une sevillana de quartier, avec une jota de Cadix ou un fandango de Lucena.
Face à lui, Belmonte le tragique, toréé par soleá, et l'angoissant Manolete par siguiriyas. Chicuelo fait le lien entre les deux puisqu'il a été fait matador par le premier, en 1919 à Séville, et qu'en 1939 il a donné l'alternative au second en coupant pour l'occasion deux oreilles et une queue. Pour les historiens de la tauromachie, Belmonte et Manolete sont les deux principaux pourvoyeurs des formes de la corrida moderne alors qu'entre ces deux «monstres» majuscules, le minuscule Chicuelo est classé comme un «torero de transition», toujours selon Ortega y Gasset.
Petites jambes. A voir l'actuelle esthétique taurine, on peut légitimement inverser le point de vue et se demander si la tauromachie d'aujourd'hui n'est pas plutôt la réplique de celle introduite dans les années 20 par le chétif Chicuelo. Chicuelo, qui était petit, court de bras et de jambes,