Monsieur Bouvet a 73 ans et demeure toujours magnifiquement servi par son tempérament. Du temps où il faisait du vélo, il avait gagné le surnom de «Bouledogue de Fougères». Voilà qui dit tout sur ce pistard qui a remporté la classique Paris-Tours en 1956. L'an passé, le quotidien Ouest France lui a consacré une granitique fresque à l'occasion de la 100e édition de Paris-Roubaix, car monsieur Bouvet avait fait du bouche-à- bouche à la reine des Classiques sur le point de trépasser, et vu qu'il possède une maison de famille à Saint-Georges de Reintembault (35), tout cela se tenait.
Décanté. Pour le premier journal de France, il était enfin temps de dire que monsieur Bouvet était l'Ambroise Paré de la chaussée. Voilà comment Albert Bouvet raconte la chose. Nous sommes au lendemain de la victoire de Jan Janssen dans l'édition 1967 et c'est Jacques Goddet, alors patron de l'Equipe, qui parle : «Ah ! Bouvet, venez dans mon bureau. Mon vieux ! Paris-Roubaix est foutu !» Goddet avait trouvé, selon monsieur Albert, que la course «ne s'était pas décantée assez vite», et surtout que le pavé se faisait extrêmement rare. Albert Bouvet aurait fait un excellent pensionnaire du Français, car il y a chez lui à la fois un peu de Jean Le Poulain et beaucoup d'Harry Baur. Il rejoue donc la scène : «Ecoutez, monsieur Goddet, je me vois mal remettre des pavés là où il n'y en a plus.» Mais Goddet l'a déjà reconduit à la porte de son bureau.
Albert Bouvet est, ce jour-là, rentré dans l'ordre du pavé.