Que dit un solitaire de son voilier et que raconte un bateau de son skippeur ? Ils s'inventent un univers qui ne durera qu'une quinzaine de jours. Une histoire pour toujours ?
Ce midi-là, Servane, la plus jeune de la tribu Escoffier, 25 ans, a un coup de barre. Ou coup de blues. Difficile de voir dans ce regard qui fuit. Il ne fuit pas pour esquiver, elle s'en excuse, mais il y a du monde autour de la table dans le resto de papa Bob qui invite en levant les bras, la barbe entaillée d'un large sourire. Pour sa première Route du rhum, elle dit avoir choisi son bateau pour son petit prix. «J'avais pas de 50 pieds pour faire la Jacques-Vabre, j'avais pas d'argent.» Depuis, elle a créé une petite société, comme beaucoup, et s'est laissée tenter par l'ancien voilier de Mick Moloney, dix ans de bourlingue sous la quille. Il a connu trois hommes avant qu'elle n'y pose ses mains. «C'est un bateau marin, serein, tolérant, dur à naviguer. Les virements de bords, les manoeuvres, les engrenages sont durs. Il est puissant, il faut beaucoup de force.» Pour calmer la bête, Servane lui a enlevé du muscle pour l'adapter à son gabarit de Fée Clochette. Elle est douce et menue sous ses airs renfrognés. «J'ai modifié les ballasts pour rajouter de l'inertie, le rail de mât, les winchs et les poulies ont été adoucis et j'ai changé la déco... Il n'était pas beau, il était rouge. Il était très important qu'il soit beau.» Il l'est, sobrement, sous sa coque bleu fond de mer et gris