La morve est sanguine, le brin d'herbe colle aux lèvres ou au front plissé. La boue s'étale sur les joues. Ces hommes-là ne sont pas des bagarreurs de bac à sable, c'est pour un bouclier qu'ils se battent, pas pour une agate. La saison dernière, Denis Rouvre a planté son studio photo ambulant dans les vestiaires des équipes du Top 14 pour capter les expressions des joueurs après la pelouse mais avant le pommeau de douche (1).
«Pour l'Equipe Magazine, j'avais fait une série de portraits des piliers du XV de France en 2004 qui s'intitulait "Broken Faces", explique le photographe, je voulais aller plus loin dans ces gueules cassées.» Jean-Marie Bisaro, troisième-ligne de Narbonne, le dos lacéré par des crampons adverses ou amis, des épaules strippées, des bleus naissants, des arcades entrouvertes... mais pas seulement. Des regards aussi, des yeux noirs, secs et parfois doux. «Je les ai pris cinq minutes maximum après leur sortie de match, pour conserver sans artifices, blason ou couleur. Ce moment pendant lequel l'homme est encore abandonné dans quelque chose, c'est la force du joueur tout simplement.»
Il n'a pas cherché à les embellir, à leur appliquer de la poudre de riz ou du fond de teint. Denis Rouvre, qui a longtemps photographié le monde du cinéma, n'a pas fait de calendrier. «Les rugbymen ont une capacité à se meurtrir en toute innocence. Ils séduisent par leur esthétique, celle du mercenaire, loin du mannequin Yves Saint Laurent.» Malgr