Le public du Tour vénère ses vainqueurs, mais il sait aussi célébrer la gloire des perdants magnifiques. Si Poulidor a atteint les sommets d'une inextinguible popularité, d'autres guignards superbes ont su, avant lui, enflammer le coeur des foules. En 1913, Eugène Christophe aborde le Tourmalet en deuxième position. Une auto le renverse, sa fourche est cassée. Le règlement interdit les changements de machine, les coureurs doivent réparer eux-mêmes. Il se fade donc quatorze kilomètres à pingots, son biclou sur les endosses, jusqu'à Sainte-Marie-de-Campan, où il effectue lui-même la réparation dans une forge. Il prend la cinquième place du classement final malgré le temps perdu.
Interrompu quatre ans par la boucherie mondiale, le Tour reprend la route en 1919. On invente le maillot jaune, Christophe est le premier à l'enfiler. On croit que «le Vieux Gaulois» tient sa revanche tant sa supériorité est écrasante, mais c'est sans compter avec la scoumoune, «la sorcière aux dents vertes» qui s'acharne sur lui. Il chute à Valenciennes et doit à nouveau marteler l'enclume pour réparer sa bécane. Il finit tout de même troisième à Paris.
En 1928, la foule s'entiche du Béarnais Victor Fontan, 36 ans, formidable escaladeur qui dynamite la course dans les Pyrénées. Il finit seulement septième, à cause du nouveau règlement qui fait disputer toutes les étapes de plaine contre la montre par équipes. Epaulé par quatre modestes coéquipiers pyrénéens, il ne peut rivaliser avec l'armada Alcyon et