Dans la famille Lerner, il y a le père, Carlos, argentin de naissance, ancien barman devenu entraîneur de pur-sang anglais à Maisons-Laffitte ; la mère, qui s’occupe de la partie administrative de l’écurie et joue au PMU (ce n’est pas incompatible) lorsque les chevaux de son mari sont en forme ; et les trois enfants, Yann, jockey, Natacha, responsable de la cour, et Marc, étudiant et jockey amateur. Ils auront dimanche pour le prix de Diane à Chantilly, le derby des pouliches de trois ans, les yeux et le cœur gravement écarquillés sur la casaque orange, toque gros bleu, portée par l’adorable Célimène, toute fine pouliche baie cerise invaincue après trois courses.
Petit bonhomme sympathique, l'œil bleu clair et le visage rusé, Carlos Lerner se trémousse et fredonne : «Cé ! Cé ! Cé ! Célimène…» Il ne connaît pas la suite, juste l'air. «Plus le prix de Diane approche, confie Natacha, plus il chante cette chanson.» Elle pourrait, à la manière d'Alceste, lui dire : «Monsieur, de vos façons d'agir je suis mal satisfaite ; veuillez rompre immédiatement vos gazouillis.» Mais Natacha aime trop son père pour lui faire la moindre remarque. Elle apprécie de le voir ainsi joyeux, plein d'espoir. «Lorsque Célimène a gagné le prix Pénélope [en avril à Saint-Cloud, ndlr], s'émeut-elle tout en marchant aux côtés de la championne dans les allées sableuses et boisées du centre mansonien, il en pleurait de bonheur, et du coup, moi devant ma télé,