Il y a encore deux ans, au temps du «miracle irlandais», c’était là, au Nancy Blake’s, sur Denmark Street, en plein cœur de Limerick qu’il fallait, pieds dans la sciure grumeleuse, nez dans la pinte charbonneuse, regarder le match. Rigolade, poivrade, embrassades, on se serait cru à la Sidreria, au coin de la rue de la Fourmi à Toulouse. Pour la patronne, la très peu catholique Mary O’Ferry, l’évidence scientifique du miracle sautait aux yeux. Du boulot, du fric, une forêt de grues sur la ville aux chaussées encombrées de cabriolets Biaime. La belle vie, la vie hors taxes. Le Tigre celtique batifolait dans la jungle enchantée du libéralisme défiscalisé.
Le sport, Mary s’en moquait, sauf lorsqu’il fournissait une occasion d’écluser des verres et même du champagne au Nancy Blake’s. L’an dernier, alors que le XV du Trèfle remportait son premier Grand Chelem depuis 1948 et le Leinster la Coupe d’Europe, elle avait versé une larme sans tout comprendre des explications de Joshua, son fils, évidemment fan de U2. La réussite ovale irlandaise, affirmait-il, tenait au système des provinces, système planifié, structuré, diamétralement opposé à celui qui leur avait permis l’achat d’une maison. Pour gagner plus, les joueurs disputaient beaucoup moins de matchs que leurs adversaires anglais et français. Perplexe, Mary avait préféré y lire une sorte de logique immanente. Comment une coupe baptisée du nom d’un brasseur pouvait-elle échapper à un peuple toujours prompt à investir ses économie