Il y a, dans la tribune d’honneur de l’Ellis Park, un grand enfant, gai et insouciant, sous le soleil d’hiver. Nelson a 78 ans, on dit qu’il est Président, il est surtout turbulent. Saute comme un gamin, tire sa casquette en l’air, rigole, tape dans le dos de ses invités interloqués. Autour de lui, le gratin du rugby mondial et de l’Afrique du Sud est en blazer, cravate, pantalon à plis. Vieillard gaillard, Nelson flotte dans un maillot de rugby vert et or frappé du numéro 6. Sur son cœur, un Springbok bondit au-dessus de protéas en fleur. Autrefois, il aurait craché dessus ; aujourd’hui, il rattrape le temps perdu.
Le Président n’a pas choisi le 6 par hasard, mais pour Pienaar. Et, en ce moment, l’autre 6 n’est pas à la fête. Trois étages plus bas, dans le cercle pesant des vestiaires, entre visages et corps tendus, Jacobus François Pienaar a un sourire forcé. Géant blond de 28 ans qui joue au rugby depuis qu’il a 6 ans, il n’aurait jamais osé rêver d’une finale. Alors il a peur, mais il ne doit pas le montrer : autour de lui, quatorze cœurs battent de terreur. Le capitaine doit les rassurer, il porte le match sur ses épaules, qu’il a heureusement bien carrées.
Soudain, la porte du vestiaire s'ouvre. Nelson entre. François lève la tête. «Je l'ai vu entrer… Qu'est-ce que je peux dire ? Je me demandais où j'allais trouver un maillot pour jouer ! Il portait mon maillot ! C'est un des plus grands mercis que j'aie reçus dans ma vie. Ça restera toujours en moi.»
Entre le vi