On y arrive, dans le pot-au-noir. Déjà franchi dans l’autre sens en novembre, il se dessine comme une ombre en avant de l’étrave. Derrière, au bout du sillage, le soleil encore très sud est au zénith, à la verticale de la corne du Brésil. Le vent mollit, devient instable, le ciel se noircit, les grains se forment et défilent plus ou moins vite. Très vite, l’horizon n’est plus perceptible, il devient marginal et confus.
J’essaie de dormir, le vent s’est stabilisé à une dizaine de nœuds, il semble s’orienter au sud-sud-est. J’en profite pour récupérer un peu sur ma bannette. Dehors ça bouge, il faudra ajuster les voiles, les remplacer, les affaler et en hisser d’autres.
C’est un peu comme une prairie au printemps, bien verte et remplie de vies, coupée au milieu par une zone de «tristitude», éteinte depuis longtemps, sans arbre, sans faune, sans rien, et qu’il faut traverser. On s’attend à de mauvaises surprises, le grain violent arrivé sans fanfare qui casse un sommeil pourtant mérité et bienfaiteur. Il faut gérer sans perdre de temps, ne pas se mettre en mode panique.
La frontale vissée sur le crâne, très légèrement vêtu, je cours sur le pont, choque la voile, tire la barre, le bateau est fortement gîté, limite couché sur l’eau. Ne rien casser, ne rien compromettre, ne rien gâcher. Surtout pas maintenant. Devant, c’est un abîme. Je ne distingue plus rien, la pluie est violente, j’essaie de trouver un peu de lucidité dans ce cauchemar. J’ai trop chaud, je transpire, j’avance à l’