Professeur à la Sorbonne et à l’université de Chicago, Jean-Luc Marion est l’un des plus importants philosophes français, spécialiste de Descartes, de la théologie chrétienne et de la phénoménologie.
Pourquoi se passionne-t-on depuis cent ans pour le Tour de France et le cyclisme ? Y a-t-il là quelque chose de secrètement sacré qui se serait laïcisé ?
Pour comprendre, il faut recourir à un critère bien différent. Quand les sports furent codifiés, au milieu du XIXe siècle, la plupart succédaient à des activités physiques naturelles (course, lancer, tir, combats, etc.) ou à des jeux de balle déjà ritualisés (la paume) ou encore à régler (football, rugby…). Un seul naquit du fait d'une avancée technique, à l'origine purement utilitaire : le bicycle, qui fut d'abord un moyen de transport individuel et démocratique (au contraire de l'équitation), qui donnait du travail (de livreur de pain - comme Bobet -, de viande - comme Coppi - ou de journaux…), mais surtout qui émancipait dans l'espace les ouvriers (habitant loin de l'usine) et les paysans (désenclavés ainsi de la communauté fermée du village).
Or, cet engin, donc le cyclisme tout entier, se caractérise comme une «machine», et toute machine impose à l’homme de s’y adapter, dans l’industrie, donc aussi dans le sport. Ainsi le vélo imposa d’emblée, et par définition, à l’homme de s’adapter à l’objet technique. Il lui fallait un «homme-machine», puisque les performances dépendaient non seulement de l’amélioration, qui fut rapide, des caractéristiques de l’objet technique, mais surtout de celles de l’athlète pédalant.
Donc l’homme s’interpréta lui-même très vite comme le c