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Le balafré, la mèche et l’artificier

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Les oubliés du Tour. Retour sur trois héros cabossés de l’épreuve.
publié le 30 juin 2013 à 21h24

Pour les héros aussi, la véritable mort, c’est l’oubli. Le peuple du Tour les fait naître et mourir selon des cycles de libellule, pour ne souvent retenir qu’un écho de leur nom, une écume d’argent et parfois plus rien. Et leurs atomes se désagrègent alors comme la passion ou l’effroi qu’ils avaient inspirés.

Robert Asse est l’un de ces chéris éphémères. De 1919 à 1929, il représente les malchanceux et les perdants du monde : dix participations au Tour de France, dix abandons. C’est la voix des gueules cassées. Parmi plus de 6 millions de mutilés, il a été brûlé au feu des tranchées, la tête criblée par des éclats d’obus. Le 7 juin 1915, son régiment enregistre 39 tués et 180 blessés. Lui est toujours en vie. Pour s’en rappeler, il s’abandonne au cyclisme. Coureur avant les combats, Robert Asse le restera après. Désormais, il imprimera un courage sidérant à la chronique du Tour. Les Bretons célèbrent l’errance de leur Don Quichotte, même si celui-ci ne va jamais plus loin que la sixième étape. Le drame le plus terrible tempêtait sous son crâne. Trépané par des médecins de campagne, il partageait le destin des aveugles, des amputés et des mâchoires ballantes que le pays masquait à sa vue. La nuit, il se réveillait en criant de douleur. Le jour, il essayait de vivre ses rêves. Les voitures qui sont passées devant son corps inerte, un soir de 1931, n’ont pas reconnu le soldat balafré qui faisait frissonner le Tour. Victime d’une congestion cérébrale, Asse venait de chuter à vélo