[C'est décidément la semaine des fils de dans le sport. Après Nico Rosberg, sacré champion du monde de F1 trente-quatre ans après son père, c'est Enzo Zidane qui fait parler de lui: première apparition sous le maillot de l'équipe première du Real et premier but. En sport, les sagas familiales sont nombreuses, et pas toujours heureuses. Nous republions, actualisé à l'occasion du sacre de l'Allemand et du but de Zidane junior, un article sur les héritiers dans le sport, paru initialement en 2014, quand justement, ce dernier faisait déjà le buzz.]
Ce jour-là, en 1996, on ne savait pas s’il fallait parler d’Eidur comme «le fils d’Arnor» ou résumer Arnor à son statut de «père d’Eidur». Mais l’émotion qui a certainement saisi les deux hommes lorsque l’entraîneur de l’équipe de foot d’Islande a annoncé à la mi-temps du match amical contre l’Estonie qu’Eidur, 17 ans, allait remplacer Arnor, 34 ans, a peut-être aussi pétrifié le vestiaire. Toutes les histoires de «fils de» − et elles fourmillent dans le sport − ne sont pas aussi belles. Petit florilège à l’heure où un certain Enzo Fernández, apprenti footballeur, se voit dépouiller de son état civil et converti en carburant pour la machine à fantasmes parce que son père s’appelle Zinedine Zidane.
Enzo Zidane
Mardi 11 mars 2014, Zidane a joué à Paris avec le Real Madrid contre le Paris-Saint-Germain en quart de finale de la coupe d'Europe. Et ils n'étaient que quelques centaines pour assister au spectacle. Il faut dire que ça se passait au stade Charléty (XIIIe), qu'en guise de Coupe d'Europe, il s'agissait de celle des moins de 19 ans, et que le Zidane, en question, c'est Enzo, fils de celui qu'on ne présente plus (et 1 et 2 et 3-0, le coup de boule, les dribbles d'extraterrestre, les ombres sur les années Juventus et des mots aussi rares qu'un match médiocre). Il aura 19 ans dans deux semaines, il joue milieu offensif gauche, comme son géniteur, et il porte un nom qui fait rêver le foot français (enfin pas vraiment, il s'appelle officiellement Fernández, comme sa mère) : Enzo Zidane, c'est du buzz en barre, comme on a pu le constater la semaine dernière à l'occasion de sa convocation en équipe de France des moins de 19 ans. Sur le terrain, faut encore voir. Mardi soir, il s'est montré du genre discret dans un match (remporté 1-0 par le Real) à l'issue duquel le gardien parisien parlait d'or : «Il a un petit air, c'est vrai. Et c'est un bon joueur. Mais il faut le laisser grandir.»
Deux ans et demi plus tard on reparle de lui. Entre-temps son père, qui l'avait déjà coaché lorsqu'il dirigeait la Castilla, la réserve madrilène est devenu entraîneur de l'équipe première du Real. Et mercredi, pour la première fois Zidane a fait entrer en jeu Enzo (le nom floqué sur le maillot du fiston): dix-huit minutes plus tard, ce dernier marquait. Oh certes pas le but le plus crucial du match le plus important de l'histoire du Real: un 16e de finale retour de coupe du Roi contre une équipe de 3e division, la Cultural Leonesa (3edivision). Le Real avait gagné 6-1 à l'aller et le retour à Santiago Bernabeu, comme il le promettait, a été une formalité (7-1): l'occasion idéale pour donner du temps de jeu aux seconds couteaux. «Si j'enlève mon costume d'entraîneur, je suis content pour le fils, comme un père, s'est réjoui Zidane en conférence de presse. Quand je serai avec lui tout seul, je lui dirai deux ou trois choses. Mais là, c'est l'entraîneur qui parle et je suis content parce qu'il est bien rentré.»
[VIDEO - EXCLU] Premier but d'Enzo Zidane ! https://t.co/sfl4NMCSbm pic.twitter.com/cbVVNdEttM
— beIN SPORTS (@beinsports_FR) November 30, 2016
Jordi Cruijff
Non seulement il a choisi de faire du foot, mais en plus il a eu l’inconscience de mettre ses crampons dans les empreintes de ceux de son père. Formé à l’Ajax d’Amsterdam puis au FC Barcelone, Jordi Cruijff connaîtra une honnête carrière de footballeur, qu’il achève au Metalurg Donestsk, après être passé par Manchester United, le Celta Vigo et le Deportivo Alavés, entre autres. Retraité des terrains après neuf sélections et un but en Oranje, il s’assied sur le banc de l’AEK Larnaca (Chypre), puis du Maccabi Tel-Aviv. Une très très pâle copie de la flamboyante carrière de son père Johann, maître à jouer d’équipes mythiques – l’Ajax d’Amsterdam et les Pays-Bas des années 70 –, incarnation de l’esthétisme et du romantisme appliqués au football, avant de devenir un héros catalan, comme joueur puis entraîneur du FC Barcelone (et notamment de son fils). C’est lui qui conduira la dream team au titre de championne d’Europe en 1992.
Et aussi les Maldini père (Cesare) et fils (Paolo), vainqueurs à quarante ans d’écart de la Ligue des champions avec le Milan AC, ou les Djorkaeff (Jean et Youri), internationaux français, un statut que, chez les Gourcuff, le fils (Yohann) a connu mais pas le père (Christian), à l’inverse de ce qui s’est passé chez les Giresse avec Alain et Thibault.
Jacques Villeneuve
Sportivement, le Canadien Jacques Villeneuve a réussi là où son père, Gilles, avait échoué en devenant champion du monde de F1 en 1997. Pourtant, c’est l’évocation de Villeneuve senior qui fait démarrer le moteur de la nostalgie chez les amateurs de sport auto. Trente-deux ans après sa mort − lors des essais du GP de Belgique au volant d’une Ferrari −, ils gardent l’image d’un homme dont le pilotage flamboyant et la disparition tragique ont fait plus pour la légende qu’un palmarès plutôt modeste de six victoires, acquises il est vrai à une époque où l’univers de la F1 était moins aseptisé que celui qu’a connu son fils (11 succès), retraité depuis 2006 après 166 courses et aujourd’hui consultant sur Canal +.
Chez les Rosberg, l’histoire est inverse. Keke, le père finlandais, a traîné une réputation pas toujours justifiée de gagne-petit, d’apothicaire des circuits, de champion du monde par défaut : c’était en 1982, l’année de la mort de Gilles Villeneuve et du terrible accident de son coéquipier chez Ferrari, Didier Pironi, à qui le titre semblait promis. Son fils, Nico, le beau gosse surdoué qui court sous passeport allemand, a remporté deux victoires la saison dernière au volant de sa Mercedes pour une sixième place au championnat du monde (son meilleur classement depuis ses débuts, en 2006). Graham Hill, l’élégance british faite pilote, a remporté deux fois le championnat du monde dans les années 60, et son fils Damon portera le patronyme au sommet en 1996. Pour mémoire, on évoquera Nelson Piquet Jr, qui a surtout marqué la F1 pour son rôle dans le Renaultgate (il serait sorti volontairement de la piste au GP de Singapour en 2008 pour favoriser son coéquipier Fernando Alonso), mais qui, question talent, n’arrivait pas à la jante de son père, triple champion du monde dans les années 80.
Laila Ali
Hugo Bonneval
Il a enfilé le maillot du XV de France pour la première fois de sa jeune carrière le 9 février face à l’Italie, marquant par la même occasion son premier essai international. Fils d’Eric Bonneval, qui fit les belles heures du Stade toulousain et du Racing dans les années 80, Hugo s’est installé depuis quelques saisons au poste d’arrière du Stade français. A 23 ans, il est l’une des principales figures de la nouvelle vague du rugby français et pourrait retrouver sur les terrains du Top 14 son demi-frère Arthur, qui a fêté sa première apparition sous le maillot toulousain cette saison face au Racing. Le rugby est également affaire de gènes chez les Elissalde (Jean-Pierre, le père, et Jean-Baptiste, le fils, ont tous deux été demis de mêlée du XV de France) ou chez les Skrela (Jean-Claude et David, tous deux internationaux). (Photo AFP)
Axel Merckx
Il avait certainement le nom le plus difficile à porter du peloton, et Axel Merckx n'a pas réédité les exploits de son champion de père, Eddy, élu meilleur cycliste du XXe siècle par l'Union cycliste internationale (UCI). Médaillé de bronze aux Jeux olympiques d'Athènes en 2004, le Belge n'a jamais fait mieux que quelques places d'honneur, glanées entre 1993 et 2007, date à laquelle il mit un terme à sa carrière. Il aura tout de même terminé six fois meilleur Belge du Tour, signant même une dixième place au général en 1998, sa meilleure performance.
Dans la série de ceux qui auraient mieux fait de s'abstenir de mettre les pas dans ceux de leur père, on signalera Marcel Cerdan Jr, qui n'aura réussi à égaler son père qu'en l'interprétant au cinéma (allô docteur Freud…). Du haut de ses 211 centimètres, Joakim Noah aurait sans doute pu faire dégringoler les aces sur un court de tennis. Ses grandes cannes lui auraient-elles permis de glisser sur le central de Roland-Garros ? Rien n'est moins sûr, l'option basket s'est sans doute révélée plus judicieuse. Quant à Sergueï Bubka Jr, son père avait placé la barre trop haut, au sens propre, pour envisager, ne serait-ce qu'une demi-seconde, une carrière de perchiste. Il a choisi le tennis. Il n'a pas grimpé au-delà de la 145e place mondiale. Condamné à perpète à rester le fils de…