J’ai vécu un moment assez exceptionnel. Ça faisait longtemps que je n’avais pas été touché par des gens qui défendent une telle idée du socialisme. Je les ai rencontrés dans un village à 150 km de Salvador de Bahia. 150 familles y sont installées dans des baraques en bois depuis six ans, elles occupent et cultivent des terres qui appartiennent à l’Etat de Bahia. Ils vivent de l’agriculture et de l’élevage, reversent à la collectivité une partie de leurs revenus pour les infrastructures communes (salle à manger, salle de réunion). Ils financent aussi le Mouvement des sans-terre, sorte de syndicat national dans un pays où 50% des terres appartiennent à 2 % de la population, et où près de 500 000 familles occupent des terres ne leur appartenant pas.
Ils croient sincèrement à cette vie collective. Ça m’a rappelé l’émotion ressentie à mon premier séjour dans un kibboutz, à 17 ans, il y a cinquante-deux ans. La différence, c’est qu’en Israël, le kibboutz avait été fondé par des intellos d’origine allemande, alors que ce village est habité par des gens très pauvres qui avaient du mal à survivre dans une favela et rêvaient d’un bout de terre à cultiver. J’ai discuté avec une jeune fille, étudiante en droit qui vit là. Elle m’a expliqué que son modèle de socialisme, c’était Cuba. Je l’ai taquinée sur la liberté d’expression, mais elle était si touchante, si totalement imprégnée de l’esprit de la collectivité que je n’avais pas envie de la défoncer comme je le fais avec tous les défens