Lionel Messi, le sacro-saint astre argentin qui a lié son destin au club depuis l’âge de 14 ans, pourrait-il être transféré au Chelsea de José Mourinho ou à Manchester City ? Même si l’intéressé vient de le nier, ce qui paraissait inconcevable il y a encore quelques semaines se répand comme une folle rumeur, effrayant les 153 000 socios (membres) du FC Barcelone. D’après certains journaux espagnols, Chelsea, présidé par le milliardaire russe Roman Abramovitch, serait prêt à honorer la pourtant prohibitive clause libératoire de Messi fixée à 250 millions d’euros, et aussi améliorer le juteux contrat dont il jouit en Catalogne : 20 millions d’euros net par an, jusqu’à 2018.
Flamme. «Si Leo part, c'est toute une équipe à reconstruire : un vrai abîme», souligne le commentateur Alfredo Relaño. Si de tels bruits de coulisses circulent sur la star de Rosario, c'est que le club est sens dessus dessous. L'équipe qui a dominé les années 2000, au point d'imprimer son style de jeu sur la sélection nationale championne du monde en 2010 et d'Europe en 2008 et 2012, est en pleine convulsion : conflit ouvert entre l'Argentin et l'entraîneur, Luis Enrique ; renvoi fulminant du directeur sportif, Andoni Zubizarreta (qui paye pour un recrutement raté), et de son assistant Carles Puyol, ancien défenseur et icône locale ; attaques de certains dirigeants contre le président du club, Sandro Rosell, poursuivi par la justice…
Voyant que la situation est devenue volcanique, son remplaçant intérimaire, Josep Maria Bartomeu, a convoqué des «élections anticipées» pour l'été prochain. Sur le papier, le club n'aurait pas de quoi s'inquiéter. Qualifié sans mal pour les huitièmes de finale de la Ligue des champions, sur les talons du Real Madrid en championnat, il affiche des comptes assainis avec des recettes de 539 millions d'euros la saison dernière, sensiblement au-delà des dépenses. Sur le terrain, cela ne va pas si mal non plus, notamment après la brillante victoire (3-1) en Liga face à l'Atlético Madrid - le tenant du titre -, grâce à l'efficacité et au brio de ses trois attaquants vedettes : Lionel Messi, Luis Suárez et Neymar.
Cette flamme dissimule pourtant mal un jeu collectif fébrile, et la perte du contrôle du ballon, la carte d'identité du Barça depuis Rinus Michels et Johan Cruijff dans les années 70. «Le club a perdu sa singularité, sa charge symbolique et sa culture footballistique, analyse Ramon Besa d'El País. Paradoxalement, sa stabilité sur le terrain dépend aujourd'hui de Messi, un footballeur qui se dit lui-même instable en laissant penser qu'il peut partir.» Le FC Barcelone est en vérité en déliquescence institutionnelle. Tout a commencé avec «l'affaire Neymar». En janvier 2014, une enquête judiciaire est ouverte afin de faire la lumière sur les 57 millions d'euros de son transfert du club brésilien Santos : selon les plaignants, le montant aurait été bien plus élevé en réalité et ce surplus aurait atterri de façon occulte dans différentes mains privées. Sur la sellette, le président, Sandro Rosell, démissionne ; il a beau régulariser aussitôt 13,5 millions d'euros au fisc et nommer comme intérimaire une personnalité acceptable, Josep Maria Bartomeu, le club vit depuis dans l'ère du soupçon, de l'instabilité et des révolutions de palais. Les ennuis du club ne se sont en effet pas arrêtés là.
Hérauts. Depuis la saison dernière, le sordide feuilleton concernant le transfert du Brésilien Neymar se mêle en effet aux déboires fiscaux de Messi, son père Jorge étant accusé de ne pas avoir déclaré d'importantes sommes et de s'enrichir sur le dos du fisc, notamment lors de l'organisation de matchs amicaux internationaux. L'attaquant argentin a beau répéter à l'envi «l'argent, c'est papa qui s'en occupe», la lenteur et la médiatisation de ses démêlés judiciaires ne contribuent pas à la tranquillité du joueur ni à la réputation du club. «Il y a quatre ans, le Barça était un modèle de structure bien gérée et efficace , critique le chroniqueur Salvador Sostres. Tout est tombé à l'eau.» Et, puis, «cadeau» de fin d'année, la décision du tribunal de la Fifa d'interdire au Barça de recruter des joueurs jusqu'à 2016, et ce pour avoir commis des irrégularités dans le recrutement de jeunes de moins de 18 ans ces dernières années. Gros coup dur pour un club qui a toujours fait des «valeurs morales» un de ses étendards et qui n'a cessé de présenter la Masia (le centre de formation) comme une «référence mondiale», d'où sont sortis la plupart des grands joueurs ayant écrit les lettres de noblesse de l'histoire récente - Messi, Xavi, Iniesta, Piqué, Busquets… En 2016, le contrat stratégique avec le sponsor principal, le Qatar, arrive à expiration.
Sera-t-il renouvelé, alors que beaucoup pointent du doigt la sulfureuse réputation de ce pays du Golfe ? Longtemps hérauts d’un club au-dessus de tout soupçon, les dirigeants ont aujourd’hui fort à faire pour blanchir l’image salie d’une institution en mal de repères.