On a filé samedi au stade de la Licorne d’Amiens voir la meilleure équipe de France, l’Olympique lyonnais, conforter sa place de leader aux dépens du Racing Club de Lens (2-0). Et la vérité nous est tombée sur le dos à deux moments : une fois pendant, une fois après.
A part ça, la pelouse était dégueulasse. Ce n'était la faute de personne, à moins d'incriminer l'hiver ou l'équipe d'Amiens qui avait tout de même le droit de jouer chez elle - faute de disposer de son stade en réfection, Lens se fait dépanner dans la métropole picarde - la veille face à Dunkerque en National (3e échelon), ce qui acheva de transformer le terrain en bourbier.
Eh bien si : c'est la faute de la Ligue professionnelle, selon le président lyonnais Jean-Michel Aulas, en pleine forme après la rencontre : «Elle n'avait qu'à décaler le match de National. Je me demande bien pourquoi elle ne l'a pas fait.» Parce qu'elle n'en a pas le pouvoir statutaire : le National relevant du niveau amateur, il dépend de la Fédération française de foot et non de la Ligue. Aulas le sait, bien entendu. Il régale la chique les soirs de match.
Métaphore. Le président rhodanien vit un moment exceptionnel : huit joueurs du centre de formation de l'OL sur onze titulaires ces deux derniers mois, une stratégie commandée par les circonstances - une centaine de millions d'euros de déficit sur les quatre derniers exercices - qui dévide une sorte de fil reliant le gardien de but Anthony Lopes au meilleur buteur de Ligue 1 (20 buts depuis samedi) Alexandre Lacazette, en passant par les soutiers du milieu, plus (Rachid Ghezzal) ou moins (Corentin Tolisso) éclairés mais toujours actifs, courageux, à leur boulot.
Huit petits gars qui jouent à cache-ballon pendant que le Paris-SG qatari et l'Olympique de Marseille de Marcelo Bielsa rament derrière : un ange passe. Aulas biche publiquement après les victoires ou sur Twitter le reste du temps. Et son entraîneur depuis août, Hubert Fournier, filait bravement samedi la métaphore du pèlerin qui, s'il n'avance pas, recule : «Quand on fait du vélo, le meilleur moyen de tomber, c'est de se retourner», sorti à trois reprises (micros, caméras et presse écrite) pour être bien certain de l'entendre en boucle pendant trois jours. Pour la vérité, comme souvent mais pas toujours, il reste les joueurs.
La première image à s’imposer fut un truc de match : les rafales de joueurs lyonnais, coordonnées au quart de seconde près, qui se sont abattues sur leurs adversaires lensois en fin de première mi-temps quand ces derniers récupéraient le ballon dans les pieds rhodaniens. Il faut savoir qu’un joueur professionnel a ceci de commun avec n’importe quel gamin : si le contrôle du ballon l’amuse, le fait de devoir le conquérir l’ennuie et le contraint, l’obligeant à un type d’effort - course à vide, nécessité de couper les angles de passes adverses, agressivité - qui ne relève pas du domaine ludique. Or, c’est justement à la perte du ballon que ces Lyonnais sont les plus engagés. Ce pressing lyonnais disait quoi ? La respiration exclusivement collective de ces gars-là.
Obsession. La longue expérience commune, la queue du réfectoire partagée pendant des années, les mêmes gosses devant les matchs de Ligue des champions de milieu de semaine dans la salle télé du centre de formation - un an de plus et les rangs qui s'éclaircissent au fil des saisons. Ça dit aussi une vision scolaire, le poids de la parole du coach : ces phases de transition étant l'obsession de quatre entraîneurs sur cinq - eux disent qu'on passe alors d'un équilibre (l'attaque) à l'autre (la défense), ce qui crée un flottement -, les Gones y mettent le maximum d'intensité puisque c'est ce que leur référent attend d'eux. Ça dit surtout que ces joueurs-là agissent encore comme s'ils n'étaient personne : un footballeur avec un statut s'active quand il a le ballon dans les pieds, pas quand il doit le chercher. Anthony Lopes (24 ans), en difficulté devant les micros : «Il faut qu'on continue comme ça, sans exagérer.»
Le second moment de vérité a appartenu tout entier au milieu Jordan Ferri, quand il lui fut demandé s'il existait une sorte de communauté technique - des joueurs petits, vifs, techniques, bons dribbleurs - chez ceux qui, comme lui, étaient sortis du centre de formation de l'Olympique lyonnais. Il a réfléchi, hésité. «Ecoutez, je… plutôt que de communauté technique, je parlerais d'une empreinte. Le jeu vers l'avant, le contrôle du ballon, le jeu dans des espaces réduits : voilà l'empreinte.» On est resté scié. Qu'un joueur écoute la question d'un journaliste n'est déjà pas fréquent. Qu'il prenne la peine de la corriger n'arrive jamais. Une posture : la netteté.