Aussi étrange que cela puisse paraître, les handballeurs tricolores engagés depuis deux semaines dans le Mondial qatari aborderont ce vendredi la très haute compétition : les obstacles argentin (33-20 lundi) et slovène (32-23 mercredi) dévorés au pas de charge et en y mettant une intensité - notamment défensive - que leurs adversaires n’avaient aucune chance de leur rendre, les Bleus affronteront à Doha en demi-finale l’Espagne, championne du monde en titre, et dont le jeu présente bien des points communs avec l’expression technique de Nikola Karabatic et consorts.
Le joueur
Thierry Omeyer
Des yeux habités, un poing serré à faire flipper le plus musculeux des pivots : l'image est récurrente depuis le début des phases finales du Mondial. Le «tueur de tireurs» Thierry Omeyer est entré en patron dans sa partie préférée de la compétition : les matchs par élimination directe. Lundi, il a détourné un tir argentin sur deux (13 arrêts en quarante-sept minutes). Mercredi, il a écarté 18 tentatives slovènes. Les joueurs des Balkans ont d'ailleurs mis treize longues minutes avant d'inscrire leur deuxième but. «Titi [son surnom] est à l'image de l'équipe : il monte en puissance, résume l'arrière Xavier Barachet. Il est monstrueux depuis quelques matchs.»
Peut-être un peu moins explosif qu'il y a quelques années, Omeyer (38 ans) compense par une connaissance quasi sans faille de ses adversaires et une capacité à «renaître» pile au bon moment. Omeyer, c'est l'homme qui voulait «abolir le hasard», comme il le racontait à Libération en 2010. Un type dont la mémoire est remplie de petites fiches sur les attaquants adverses : «Je sais qu'untel va s'élever à 9 mètres, passer son bras à tel endroit de la défense, feindre le tir ou alors tirer toujours en-dessous, là, côté gauche.» Pour Thierry Anti, entraîneur de Nantes, «l'âge n'a pas d'effet sur lui» : «Il sait se préparer pour les matchs les plus importants et il a un mental de compétiteur très prononcé.» Le genre d'atouts qui font la différence entre une bonne équipe et celle-là, capable de plier deux tournois olympiques, deux championnats du monde et trois championnats d'Europe.
L’énigme
Le cas Fernandez
De son caractère parfois lymphatique et de son physique de grande gigue, Jérôme Fernandez a tiré le surnom de «girafon». Le capitaine des Bleus n'a pas cassé la métaphore animalière en traversant ce Mondial en père peinard, malgré un coup de grisou il y a deux semaines. Marginalisé par son sélectionneur, Claude Onesta, selon lequel il serait «criminel de maintenir sur le terrain» un joueur de son âge, Fernandez a encaissé, sans faire d'esclandre. Tout juste a-t-il demandé des «explications» à son coach, avec lequel il est apparu en conférence de presse pour expliquer qu'il n'y a «pas de polémique», et que «l'important, cela reste toujours l'équipe et qu'elle continue à avancer». Depuis, le Toulousain a disputé des bouts de matchs, se montrant au niveau contre l'Argentine en 8e, avec un trois sur trois au tir en sept minutes de jeu. Fernandez, c'est le fil conducteur de l'histoire bleue depuis 1997. Recordman du nombre de buts en sélection (près de 1 500), il n'est plus, depuis quelques années, le taulier au poste d'arrière gauche. Mais il reste un couteau suisse (de luxe) capable d'évoluer à trois postes différents et de réguler la vie du groupe. «Jérôme fait la synthèse», nous confiait le directeur technique national, Philippe Bana, il y a trois ans. Un rôle que Fernandez pourrait continuer d'endosser. Comme successeur d'Onesta ?
L’adversaire
Les Bleus dans un miroir
Revoilà donc l’Espagne, championne du monde en titre, qui donna en 2013 - via le club de Barcelone - une manière d’asile politique à Nikola Karabatic quand celui-ci était empêtré dans l’histoire des paris truqués lors du match entre Montpellier et Cesson-Rennes et qu’il lui a fallu prendre le large. Ça marche dans les deux sens : l’ailier gauche espagnol Valero Rivera a dû franchir les Pyrénées pour trouver à Nantes à partir de 2010 une reconnaissance et un niveau de jeu terrible. Il est l’auteur de 10 des 25 buts de sa sélection mercredi en quart de finale contre des Danois qui valaient bien l’équipe espagnole.
Cet effet miroir se propage jusqu'au style des deux équipes, jugé proche par Onesta : «L'Espagne a un jeu qui ressemble au nôtre et c'est ce qui rend ce match difficile. Contre eux, ce sont à chaque fois des bras de fer.» Au sens propre : le muscle écrase l'art, le score est buissonnier. Thierry Anti : «La France et l'Espagne ont un jeu et une expérience assez proches. Je pense que les défenses vont se neutraliser et que les gardiens décideront. Mercredi, les Espagnols m'ont cependant paru fatigués.» Moins d'énergie, sans doute moins de variations aussi puisque le handballeur espagnol ne s'exporte que depuis peu sous l'effet de la crise économique : aux tricolores de forcer le passage.