Entré en vigueur le 1er janvier (sauf en France, où on attend les ordonnances gouvernementales), le nouveau code mondial antidopage (CMA) accroît la sévérité de la lutte. Il double la sanction maximale, qui passe de deux à quatre ans de suspension pour une première infraction et institue des contrôles au domicile des sportifs à toute heure du jour et de la nuit (Libération du 2 janvier 2015). Cette mesure controversée porte atteinte à la liberté de circuler et de vivre tranquillement. Est-elle seulement efficace ? Non, explique Jean-François Reymond, ancien basketteur et patron du syndicat national du basket (SNB).
Le code impose désormais une localisation vingt-quatre heures sur vingt-quatre…
On marche sur la tête ! Aucun autre secteur d’activité n’impose ce genre de contraintes. Et tout ça pour une politique de lutte antidopage où l’on n’attrape presque personne, alors qu’il y a 12 000 contrôles par an en France - et que le coût pour arriver à un contrôle positif est de plus de 90 000 euros en argent public. Les contraintes qui pèsent aujourd’hui sur les sportifs sont totalement disproportionnées au vu de ces résultats. Seulement dix sportifs ont été sanctionnés depuis 2009 pour manquement à la localisation, pour des raisons purement administratives (mauvais remplissage, oubli, etc.). Cette localisation ne sert pas à grand-chose. Quelle sera la prochaine étape. Une puce électronique ? Un bracelet ? Avec des heures de sortie autorisées ? Et dans quel but ? Protéger la santé du sportif ? Vaste fumisterie : l’aide pour les joueurs dopés est inexistante.
Que proposez-vous ?
Augmenter les contrôles inopinés, et hors compétition, c'est primordial. Mais il ne semble pas nécessaire de les faire au domicile. Cela peut se passer sur le lieu d'entraînement, au moins pour les sports collectifs. Pour les contrôles en pleine nuit, le rapport de l'Assemblée nationale [du 10 décembre 2014] précise que les «microdoses» qui sont recherchées deviennent indétectables au bout de cinq minutes : il va falloir que les contrôleurs soient à l'heure, sinon ça ne servira à rien ! On est tous pour faire baisser le dopage, mais pas pour stigmatiser les sportifs. Or, il faut prendre en compte que tous ne sont pas maîtres de leur emploi du temps. D'autre part, nous avons, dans plusieurs sports, des joueurs qui sont dans le groupe cible [«suspects» potentiels]depuis plus longtemps que les dix-huit mois autorisés. Ils ont été renouvelés sans savoir pourquoi et sont les seuls de leur effectif dans cette contrainte. Ne faut-il pas mettre tous les joueurs dans le groupe cible ?
Vous pointez aussi certaines contradictions de la lutte.
Le CMA n'a pas d'objectif clair. Sanctionner les fédérations internationales qui ne font pas leur travail, les sportifs qui ne respectent pas la localisation ? Ou faire baisser le dopage ? Existe-il une étude épidémiologique récente qui mesure le nombre de sportifs utilisant des produits dopants et leurs effets sur la santé ? Est-il possible de réduire efficacement le dopage lorsqu'on ne sait pas quels sont les objectifs à atteindre ? Cette question peut paraître stupide mais elle a été posée à l'AMA [agence mondiale antidopage, ndlr] à Paris en novembre. La réaction a été surprenante, des rires dans la salle et une réponse évasive de [son président] Craig Reedie : «Si vous mettez bout à bout toutes les propositions, cela va réduire le dopage…» Il faut une enquête épidémiologique par discipline. Il faut être capable de mesurer l'efficacité de la lutte.
Le nouveau code n’exclut pas le cannabis et la cocaïne de la liste des produits dopants.
C'était la seule question intéressante mais elle a été évacuée en mars-avril 2014. Nous savons depuis longtemps que ces substances n'améliorent pas la performance et l'Australie militait pour la création d'une nouvelle catégorie, qui aurait permis de ne pas sanctionner les sportifs les utilisant, mais de les aider en combattant une addiction potentielle. La réponse de l'AMA a été de les maintenir dans la liste mais en rehaussant les seuils de détection [afin de piéger moins de monde, ndlr].
Vous soulignez une absence de chiffres…
Nous nous sommes demandé en 2011 d'où provenaient les données de l'AMA sur le nombre de tests totaux et de cas positifs, mais également si les résultats des agences nationales étaient compilés, car c'est une obligation du code mondial. Nous nous sommes aperçusque ces documents n'existaient pas. Nous avons donc compilé les données (1). Les résultats des 49 agences européennes furent au-delà de nos attentes. En 2009, 20 sur 49 avaient publié une sorte de rapport en ligne, et seules 11 étaient en accord avec le code mondial. Pour les agences où il y a des statistiques, le nombre de contrôles anormaux est inférieur à 1%, le cannabis en représentant 20%. Et 49% d'entre eux étaient concentrés dans cinq sports [haltérophilie, rugby à XV et à XIII, cyclisme, culturisme, powerlifting].
Que suggérez-vous sur la pratique des sports ?
Il faut revoir les calendriers, notamment en rugby. Et se pencher sur l’après-sport. Selon une enquête que nous avons effectuée auprès de 350 anciens basketteurs, la moitié ont développé un comportement addictif après leur retraite (alcool et drogues). Et il n’y a personne pour les aider, hormis nous. L’argent est utilisé pour sanctionner, pas pour la prévention.
(1) Etude de Uni Global Union, mai 2011.