Surprise : le Kenya, où des dizaines d'athlètes ont été contrôlés positifs ces dernières années, n'a aucune politique de lutte digne de ce nom, selon le rapport d'un groupe de travail commandé par le ministre des Sports kényan, rendu en avril et publié par l'Agence mondiale antidopage (AMA) le 27 octobre. En athlétisme, «malgré de sérieuses allégations de dopage, la fédération n'a aucun programme» de lutte et on n'en trouve d'ailleurs dans aucune autre discipline. En foot, «l'usage du cannabis est étendu et encouragé par les entraîneurs et certains officiels». Dans les sports de masse, «il n'y a pas de connaissance» sur la question. Pire, «la majorité des officiels dans les fédérations semblent ne pas savoir ce qu'est le dopage». Il n'y a pas de budget pour les contrôles.
Bilan : «Aucun sport ne respecte totalement les obligations des fédérations internationales et de l'AMA.» Pourtant, en 2009, le Kenya avait ratifié la convention internationale et créé une agence antidopage. Nairobi a juste oublié de lui donner un financement, un staff et des bureaux… L'institution devait finalement démarrer le 1er février, aidée par un partenariat avec ses homologues norvégienne et chinoise.
Ordonnances. Prenons le rugby. En équipe nationale et dans deux clubs, «un dopage systématique est en place, via l'usage de compléments alimentaires contenant des stéroïdes». La fédé de rugby (KRU) les fournit aux joueurs, «sans connaître leur composition», leur présence n'étant pas signalée sur les emballages. Les produits s'achètent chez Weider Nutrition, un magasin situé dans le Hilton de Nairobi. Leur usage a été introduit par un coach «non kényan» de rugby à sept. La KRU a dit «qu'elle préfère les entraîneurs étrangers aux locaux, car ils connaissent mieux l'usage des compléments alimentaires». Le rapport cite dix coachs qui devraient subir une action disciplinaire, mais la KRU conteste ses conclusions.
Passons à l'athlétisme, sport phare, miné par des affaires de dopage. Dernière en date, la meilleure marathonienne du monde, Rita Jeptoo, a été contrôlée positive cet automne et suspendue pour deux ans le 30 janvier. Selon le rapport, certains dopés obtenaient les produits auprès d'hôpitaux ou de pharmacies, grâce à de simples ordonnances médicales. Les entraîneurs kényans tentent de se défausser sur les agents étrangers des athlètes, mais le groupe de travail n'est pas dupe : «Les responsables de la situation sont le top management de la fédération.» Le président de la fédé, Isaiah Kiplagat, a refusé d'être auditionné, par peur, assure-t-il, de subir un «procès».
Et dans le foot, selon le rapport, des entraîneurs conseillent même à leurs joueurs de consommer du cannabis à titre récréatif, une pratique qui serait également répandue dans d'autres sports. Circulent dans le milieu d'autres produits de détente, comme la cathine (contenue dans le khat, plante euphorisante à mâcher) ou la cocaïne. Mais aussi des dopants purs, comme les stéroïdes anabolisants et les stimulants, parfois fournis «par les entraîneurs et les membres de l'équipe». Que fait la fédé ? Rien. «Aucun contrôle» ni opération de sensibilisation.
Détente. Au-delà de ce paysage, le groupe de travail, créé sous la pression de l'AMA après un reportage accablant de la chaîne allemande ARD en 2012, a lui-même intrigué par sa méthode. Il a envoyé 1 500 questionnaires à des sportifs, et aurait reçu 1 396 réponses : ce taux de retour de 93% paraît extravagant. Ce qui n'enlève rien à ses recommandations : créer un organe antidopage indépendant, élaborer une législation spécifique pour le 1er janvier 2016 et mener une campagne massive de prévention. «Il faut une éducation antidopage dès l'école primaire», écrit-il. Il y a du boulot.