Menu
Libération
Récit

Cyclisme sur piste : l’Afrique du Sud médaille du mérite

Logement chez l’habitant, manager de circonstance… Pour s’aligner aux Mondiaux, en France, les trois seuls cyclistes africains fonctionnent au système D.
Maroesjka Matthe et ses deux coéquipiers ont dû remonter eux-mêmes leurs vélos sitôt arrivés au vélodrome de Saint-Quentin-en-Yvelines. (Photo Fred Kihn)
publié le 18 février 2015 à 19h26

En arrivant au vélodrome de Saint-Quentin-en-Yvelines, on entend seulement le bruit des roues sur le parquet. Un grondement qui revient vague après vague. Au centre de la piste, les coureurs se préparent pour les championnats du monde, qui ont démarré mercredi et durent jusqu’à dimanche. Trois cents cyclistes, hommes et femmes, de 38 nations, mais une seule équipe d’Afrique, celle d’Afrique du Sud. Ils sont trois, des Blancs : Eugene Soule, 18 ans, qui passe son bac cette année, engagé dans l’épreuve du kilomètre, Maroesjka Matthee, jolie rouquine de 26 ans (poursuite individuelle, scratch et course aux points) et Annerine Wenhold, la doyenne de l’équipe, 41 ans, (500 m). Chacun a été invité en tant que champion d’Afrique. Mais pour leurs adversaires, ils sont d’illustres inconnus.

Si le continent africain s'éveille peu à peu au cyclisme sur route, la piste reste une affaire purement sud-africaine. Le pays a remporté 48 des 51 médailles mises en jeu aux championnats continentaux, en janvier. Mais la fédération de cyclisme a très peu de moyens, alors il a fallu tenir un budget serré pour le voyage en France : 1 400 euros par coureur, rassemblés grâce à un appel aux dons, pour financer le transport des trois compétiteurs et du matériel, l'hébergement et la nourriture. «On a lancé un appel sur Facebook et tous nos proches, nos familles, nos amis ont participé», raconte Maroesjka Matthee. Pas de quoi cependant s'offrir l'hôtel. Eugene, Maroesjka et Annerine logeront donc… chez l'habitant. A Trappes, chez un jeune amateur de cyclisme qui s'est proposé spontanément.

Masseur. Ce bon plan logement, les Sud-Africains le doivent à Franco Cannella. Ce professeur dans un lycée chaud du Val-d'Oise est devenu, le temps des championnats, le «team manager» de l'équipe. «Je roule en tant qu'amateur à l'US Créteil. J'ai vu passer une annonce sur Internet disant que l'équipe d'Afrique du Sud avait besoin de quelqu'un en France pour les Mondiaux. J'ai envoyé un CV et une lettre de motivation et j'ai été pris», s'enthousiasme l'homme de 48 ans. C'est lui qui gère l'administratif, le transport et l'hébergement. Il fait aussi office de mécanicien et de masseur à ses heures perdues. Grâce à Franco et ses contacts, Eugene, Maroesjka et Annerine vont bénéficier gratuitement du matériel d'entraînement fourni par une enseigne de sport. Il leur a aussi trouvé un chauffeur pour le trajet entre l'aéroport et le vélodrome, chauffeur qu'ils vont rétribuer en places pour assister à la compétition.

Mais cette organisation est fragile. Les coureurs en ont fait les frais. Ils ont décollé de Johannesburg lundi dans l'après-midi et sont arrivés à Paris mardi au petit matin. Dans leurs bagages, les vélos démontés. Le chauffeur les attend dans un petit break mais, voilà, tout ne rentre pas dans la voiture. Eugene et Annerine doivent donc se rendre en taxi à Saint-Quentin. Résultat, ils arrivent avec une heure de retard sur le planning. Il faut remonter les vélos dans l'urgence. «C'est super compliqué, explique Annerine. Il faut être très précis, les chaînes doivent être correctement tendues. Si elles le sont trop, elles cassent, et si elles ne le sont pas assez, c'est le déraillement assuré.» Le vélo de la quintuple championne du monde des plus de 35 ans fait un bruit bizarre. La roue arrière n'est pas droite. Il faut tout recommencer. Finalement, elle est prête à monter en piste à midi et demi, c'est-à-dire à la fin du créneau d'entraînement attribué à l'Afrique du Sud.

Zen. «C'est un peu le chaos, commente Franco Cannella. Eugene n'arrive pas à avoir son badge, Maroesjka est complètement enrhumée et on est vraiment en retard. Il faut que j'aille négocier avec les équipes du prochain créneau pour savoir si elles acceptent que l'équipe s'entraîne avec elles.» Malgré tout, les cyclistes restent zen. Tout sourire, ils se prêtent de bonne grâce aux photos et attendent les instructions. Chacun reste dans son coin, perdu dans ses pensées, écouteurs sur les oreilles. Leur manager revient avec une bonne nouvelle, l'équipe portugaise les accueille avec plaisir sur la piste.

C'est parti pour une heure d'entraînement. Les coureurs enchaînent inlassablement les tours, s'offrant quelques accélérations. «C'est vrai que nous n'avons pas les mêmes objectifs que les grosses équipes. Moi, je veux surtout battre le record d'Afrique du Sud. Mais je stresse un peu parce que je ne connais pas très bien la piste, je suis tombée malade avant de partir mais j'essaye de me concentrer», souligne Maroesjka, qui est kinésithérapeute dans la vie de tous les jours. Leurs coachs personnels n'ont pas pu faire le déplacement. Ils transmettent leurs instructions directement à Franco, qui fait le relais. «A l'entraînement, on va y aller doucement. Le but, c'est de ne pas perdre de jus avant la compétition et on décidera d'une stratégie le jour J, en fonction de l'état d'esprit de chaque coureur. Comme personne ne nous attend, on va essayer de créer la surprise», s'amuse Franco.

Pour l’heure, les coureurs sont surtout concentrés sur le repos dont ils ont besoin après une journée de voyage, et l’entraînement. Ils se sont arrangés avec les organisateurs pour qu’une navette les dépose à Trappes. Une chambre pour trois les y attend, dans une colocation. Pas sûr que ce soit de tout repos.

Photo Fred Kihn