C'était une bâche énorme en plein milieu du quatrième quart-temps. Sous son maillot de l'Espagne, Pau Gasol, dos au panier, essaye quelques feintes avant de se retourner et tenter un shoot. Devant lui, Rudy Gobert décolle. Le natif de Saint-Quentin n'a que faire des 1000 matchs NBA et des multiples titres internationaux de l'Espagnol : il le contre du haut de ses 2,16 mètres comme un poussin. Lors de ce quart de finale de Coupe du monde, où Gobert récolte plus de rebonds que les frères Gasol réunis (13 contre 12), le pivot français étonne et révèle son potentiel exceptionnel en sortie de banc. Le premier étage de la fusée Gobert est lâché.
L'entrée dans la stratosphère du joueur des Utah Jazz a peut-être lieu actuellement. Le mois de mars fou de Rudy Gobert en NBA a commencé par une stat imposante : 24 rebonds contre Memphis, record en carrière battu. Les huit matchs qui ont suivi ont été du même tonneau, avec des statistiques de rêve pour tout pivot NBA :17,2 rebonds et 10,6 points en moyenne. Série en cours. La réputation de contreur de Gobert a évolué vers celle de big man hyperdominateur.
Le déclic ? Plus de temps de jeu, tout simplement. Le Français était prêt à intégrer le cinq d'Utah, il fallait juste qu'une place se libère. Ce fut celle d'Enes Kanter, le pivot turc, parti jouer les déménageurs à l'Oklahoma Thunder. Chargé de nouvelles responsabilités par son coach, Gobert assure. Son formateur Jean-François Martin observe ça depuis Cholet : «Utah lui a donné une place importante parce qu'ils sentaient qu'il commençait à pousser. C'est un club qui a fait un pari et ils vont le tenir jusqu'au bout.» Gobert jouait moins de dix minutes par match la saison dernière.
«Gobert or Go Home»
Le joueur est spectaculaire aussi. Ses alley-oops, claquettes dunks, contres rageurs font se lever les supporters de la franchise de Salt Lake City ? «Gobzilla» a également impressionné lors du Rising Stars Challenge, qui regroupait les meilleurs jeunes de NBA dans une confrontation de gala en marge du All Star Game mi-février. Ses pelletées de dunks l'ont révélé un peu plus à l'Amérique du basket. Et désormais, le cri de ralliement «Gobert or Go Home» («Gobert ou rentre chez toi») se fait entendre en dehors de l'Utah.
«Il commence à dominer son gabarit hors normes, il est arrivé à maturité, analyse Jean-François Martin, pour expliquer cette explosion soudaine. Quand il était au centre de formation, il n'arrêtait pas de grandir, on essayait de le préserver.» On pouvait se douter que le gamin aurait un jour du mal à passer sous les portes. Son ancien basketteur de père, Rudy Bourgarel, culmine à 2,13 mètres. Aujourd'hui, Rudy Gobert a pris du muscle et sa croissance s'est donc stoppée à ce joli 2,16 mètres. Surtout, c'est son envergure qui impressionne : 2,34 mètres bras étendus, une caractéristique record qui avait scotché tous les observateurs lors de son entrée en NBA.
Gobert est aussi un monstre d'élasticité qui a réussi à associer à sa grande taille une habileté balle en main et une motricité pas communes. «Félin», d'après Jean-François Martin. Jean-Manuel Sousa, son coach pendant deux ans à Cholet, peut comparer : «J'ai aussi eu Ian Mahinmi sous mes ordres. Ce n'est pas tout à fait le même type de joueur, mais le même genre de gabarit (cinq centimètres séparent Mahinmi et Gobert, tous deux internationaux français, ndlr). Et j'ai vu la différence au niveau de l'agilité et des déplacements sur le terrain.»
Des qualités que Rudy Gobert a cultivées tout jeune, au centre de formation de Cholet. Ses premiers pas sur les parquets, il les a faits en tant qu’ailier, un poste qui requiert plus de courses, de dribbles et de shoots.
All Star ? «Dans les cinq ans»
Qu'est-ce qui pourrait donc bien freiner Rudy Gobert ? Pas le mental en tout cas. Ses formateurs soulignent son «intelligence posée», sa «capacité d'adaptation», son côté «perfectionniste». Ils mentionnent aussi son bac S, qu'il a tenu à passer alors que les recruteurs de la NBA n'étaient pas loin de prendre leurs premiers renseignements. Jean-Manuel Sousa est confiant : «Je ne vois pas ce qui pourrait l'arrêter.»
Rudy Gobert est confiant lui aussi. Il fait face avec décontraction à son nouveau statut et aux sollicitations médiatique qui vont avec. Dans une interview avec plusieurs médias français la semaine dernière, il disait envisager d'être All Star «dans les cinq ans», qu'il ne cracherait pas sur un titre de meilleur défenseur de NBA dès cette année. Et n'est «pas inquiet» de la possible défection de Joakim Noah envers l'équipe de France à l'Euro. Le championnat d'Europe en septembre se déroulera en grande partie en France, à Montpellier et à Lille. L'absence de Noah lui laisserait une place plus importante dans la raquette. Ce sera peut-être sa mise en orbite définitive.