Ce mardi, à Vienne (Autriche), Michel Platini a été reconduit pour un troisième mandat à la présidence de l’UEFA. Les représentants des 54 fédérations européennes n’ont même pas pris part à un simulacre de vote. Comme il y a quatre ans, seul candidat, il a été réélu par simple acclamation.
Il y a encore un an, on n’imaginait pas l’ex-meneur des Bleus mener ce combat-là. On l’envisageait sur un ring un peu plus imposant, défiant Joseph Blatter, l’indéboulonnable patron de la Fifa, la maison mère du foot mondial. Ç’aurait été chouette, façon catch. A ma gauche, le challenger, «Saint Platoche» (hourras dans la salle), l’ange blanc de Nyon, défenseur du jeu et des joueurs, pourfendeur de l’argent roi. A ma droite, le tenant du titre, Sepp «the ugly» Blatter, le satrape de Zurich, représentant en turpitudes diverses et variées, vainqueurs par K.-O. et coups bas de tous ses précédents adversaires.
Las ce match n’aura pas lieu cette année et sans doute jamais. Platini a choisi de rester dans sa division. Et le 29 mai, Blatter sera réélu sans coup férir à la présidence de la Fifa face à des opposants (l’ancien joueur portugais, Luís Figo, le président de la Fédération néerlandaise, Michael Van Praag, le prince Ali de Jordanie) dont il s’amusera comme Lionel Messi se joue de plots sur un terrain d’entraînement.
«Sport et business»
«Cela n'a pas été un choix facile. Mais j'ai décidé de rester à l'endroit où je me sens bien. C'est un choix. Mon heure n'est peut-être pas venue d'aller à la Fifa, un jour peut-être… on verra», a un nouvelle fois répété Platini le mois dernier pour justifier son forfait. «Platini ne s'est pas présenté car il était sûr de perdre», analyse un connaisseur de la Fifa dans le Monde. Le journal a cherché des opposants à Platini et n'a trouvé, du moins parmi ceux qui acceptaient de parler ouvertement, que des experts ès dithyrambes : «Excellent leader», «Il a réalisé un travail formidable. Il est droit, honnête», «capable d'allier sport et business de manière harmonieuse»…
La campagne pour la présidence de la Fifa ne se serait pas déroulée dans cette ambiance bisounours. 1,73 milliard d'euros de recettes sur le dernier exercice, le fair-play financier (qui interdit aux clubs de dépenser plus d'argent qu'ils n'en gagnent), la Ligue des nations pour remplacer d'insipides matchs amicaux, l'Euro 2020 disputé dans treize villes européennes, le bilan de Platini à la tête de l'UEFA aurait sans doute été de peu de poids contre Blatter. Et Platini sait trop bien, pour avoir joué son porte-flingue dans la conquête de la Fifa en 1998, que Blatter, sous ses allures de chanoine rabelaisien, est un tueur à sang froid. Sa survie à la tête de la fédération internationale du sport le plus mondialisé, donc aux plus forts enjeux financiers, malgré une impressionnante batterie de casseroles, le prouve.
Platini a eu un avant-goût de ce qu'aurait pu être son match contre Blatter. En décembre dernier, le Sunday Times affirmait qu'il avait reçu un Picasso de la part de la Russie afin de s'assurer de son soutien lors de l'attribution du Mondial 2018. Six mois plus tôt, le Daily Telegraph avait dégainé, affirmant qu'en 2010, quelques semaines avant la désignation du Qatar comme hôte du Mondial 2022, il avait rencontré secrètement l'homme fort de la candidature de l'émirat, Mohamed bin Hammam (qui sera radié à vie de la Fifa deux ans plus tard).
Boulet
Le Mondial 2022 au Qatar et les soupçons de corruption qui l’entourent, c’est le caillou dans la chaussure de Platini. Caillou qui serait devenu un boulet s’il avait voulu affronter Blatter. Le triple ballon d’or n’a jamais caché qu’il avait voté pour l’émirat. Et depuis que l’on sait que le 23 novembre 2010, quelques jours avant le vote, il déjeunait à l’Elysée avec l’émir du Qatar et Nicolas Sarkozy, il a une cible dans le dos : au pire corrompu, au mieux soupçonné d’avoir, à la demande de l’alors président de la République, favorisé la candidature qatarie en échange de la reprise du PSG (club cher à Sarkozy) par l’émirat. D’autant que Platini junior, Laurent, entretient des relations d’affaires avec le Qatar.
En suggérant, en juin dernier, que Platini pouvait avoir subi des pressions politiques – le fameux dîner à l’Elysée – pour soutenir la candidature d’un Etat corrupteur, Blatter avait donné le ton de ce qu’aurait pu être une campagne pour la présidence de la Fifa.
Ce midi, sitôt reconduit, Platini a pris la parole : «En étant réélu président de l'UEFA, je reste vice-président de la Fifa pour quatre ans, ce qui n'est pas une fin en soi. La Fifa, nous l'aimons profondément, c'est précisément pour ça que nous aimerions qu'elle soit parfaite. Nous voulons une Fifa forte et respectée.» Forte, elle l'est assurément. Respectée, c'est beaucoup moins évident. Mais Platini n'a manifestement pas les moyens de jouer les Monsieur Propre.