Les Bleus s’offriront ce jeudi un jamboree amical à Saint-Denis face au Brésil et la semaine tricolore aura été écrasée par le carnaval sans fin autour de Nabil Fekir, jeune (21 ans) milieu de terrain binational appelé pour la première fois en sélection tricolore alors qu’il lorgnait (ou qu’on lorgnait pour lui) sur l’équipe d’Algérie. Mardi, le joueur lyonnais a été expédié devant la presse comme on purge un frein hydraulique, l’idée étant d’extraire le poison visqueux - la haute main du business sur un choix censément de cœur - que Fekir laisse dans son sillage.
A un moment, le staff tricolore l'a fait passer pour un débile. L'intéressé venait de dire la phrase suivante : «Je pense que mon choix [la sélection française et non algérienne, ndlr] est définitif», sous-entendu «je pense aujourd'hui», ce qui ouvre la possibilité d'un switch dans le futur puisque seuls les matchs de compétitions ont le pouvoir de «visser» le joueur dans une équipe nationale et les Bleus n'en disputeront pas avant juin 2016 et le début de l'Euro à domicile.
Fleurons. Une autre question relative à son choix est tombée : l'attaché de presse des Bleus a coupé court. Une troisième est tombée : «Il a dit ce qu'il avait à dire», a encore coupé la personne du staff. Tout briefé à l'avance qu'il était du déroulé de sa prestation devant les caméras, Fekir s'est légèrement étonné.
Au point où on en est, on se demande pourtant ce qu’il lui reste à apprendre. Il a visité les coulisses dans tous les sens. Et dans les coins, encore. Le 6 mars, quelques heures après avoir donné son accord à l’Algérie, Fekir s’est vu annoncer par son nouvel agent, Jean-Pierre Bernès, un premier appel deux semaines plus tard en équipe de France : mais il en savait quoi, Bernès ? Peut-être lit-il dans l’avenir. D’autant plus facilement qu’il est aussi l’agent du sélectionneur, Didier Deschamps, même s’il faut noter que celui-ci n’a pas précisément fait que des fleurs - liquidation des cas Jérémy Ménez et Samir Nasri en sélection - aux plus beaux fleurons de l’écurie Bernès.
Dans le même ordre d’idées, le président lyonnais, Jean-Michel Aulas, a manœuvré comme un général d’empire (coups de téléphone aux proches du milieu rhodanien, quand bien même Aulas a affirmé le contraire face caméra, exposition médiatique du joueur pesé au quart de gramme) pour que Fekir tombe dans les bras des Bleus : il compte le vendre cet été, un international français vaut plus cher qu’un international algérien et une éventuelle volte-face du joueur la saison prochaine (donc après la vente) lui importe peu. La Fédération française de foot y a vu une magnifique conjonction d’intérêts : son président, Noël Le Graët, a appelé le joueur, Deschamps aussi, le sélectionneur ayant pris ombrage du fait que Fekir parle publiquement du coup de fil - ça ne se fait pas, petit bonhomme.
Endives. Il faut comprendre que le milieu lyonnais ne peut ni dire un mot qu'on ne lui ait soufflé ni faire un pas tout seul. La seule question encore pendante en début de semaine était celle du parrainage de Fekir chez les Bleus : si les matchs amicaux ne servent à rien puisque les joueurs importants s'en foutent, l'avenir international d'un footballeur se trame en partie en coulisse, au prorata de son degré d'acceptation dans le vestiaire - et celui des Bleus est notoirement féroce avec les entrants. Fekir, mardi : «Karim Benzema est venu me parler tout de suite, il a tout fait pour me mettre à l'aise.» Personne ne pèse plus lourd en sélection aujourd'hui que la star madrilène. Si c'est Benzema qui lui tend la salade d'endives et la carafe d'eau à la cantine, Fekir est peinard un bon bout de temps.
Quant à l'attaquant du Real, il va bientôt lui falloir une dépendance dans Clairefontaine pour loger ses protégés, Antoine Griezmann, le joueur de l'Atlético de Madrid, étant déjà du nombre. Puisse Benzema remettre son nouvel ami dans une perspective exclusivement sportive, l'indépendance d'esprit proverbiale du Madrilène et sa répulsion à mélanger le foot stricto sensu et le business laissant augurer de perspectives plus dégagées que la nuit noire dont sort Fekir. Il pourrait être lancé plus facilement à Saint-Denis face au Brésil que dimanche à Geoffroy-Guichard contre le Danemark, sur une pelouse stéphanoise où les voisins lyonnais sont rarement les bienvenus : ce sera un soir à voir qui lui donne le ballon, et ce qu'il en fait.