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Libération

A Roubaix, dans la roue d’une autre course

Cyclisme . La veille de la victoire de John Degenkolb, François Lamiraud battait un antique record sur piste.
publié le 12 avril 2015 à 20h06

La mine à ciel ouvert ne leur suffit plus. Déjà prêts à se rompre un os sur les pavés de la forêt d’Arenberg, là où les gueules noires se sont jadis cassés le dos, les coureurs de Paris-Roubaix acceptent maintenant de défier un train lancé à 300 km/h. Dimanche, pour l’édition 2015 de la classique cycliste la plus prolétarienne au monde, remportée au sprint par l’Allemand John Degenkolb (Giant Alpecin) devant le Tchèque Zdenek Stybar (Etixx-Quick Step) et le Belge Greg Van Avermaet (BMC), le peloton a traversé un passage à niveau fermé, sous le hurlement des gendarmes. L’un a failli enfoncer sa roue dans les rails, un autre s’est cogné à la barrière. Le dernier soutier s’en est tiré à peine sept secondes avant le TGV.

Tranquille Emile, comme on dit dans le petit monde de Zola. La scène s'est produite à 87 kilomètres de l'arrivée. Totalement vaine puisque les coureurs passés avant le train ont attendu ceux qui s'étaient retrouvés bloqués. C'est puni par le règlement sportif (et par la loi). Mais, qu'importe, les coureurs sont impatients de gagner leur croûte. Les charbonnages et le train, la dignité humaine et l'instinct de mort : Paris-Roubaix, c'est Germinal plus la Bête humaine.

Porion. Dans ce coin du Nord, l'autre héros du vélo s'appelle François Lamiraud. Il n'a pas couru dimanche, assistant depuis les tribunes au succès de l'Allemand, qui émerge dans un sprint à sept. Son exploit à lui s'est tricoté la veille, dans la cité lainière, face à l'arrivée de Paris-Roubaix. Au vélodrome Jean-Stablinski (l'ex-mineur devenu coureur), Lamiraud a battu le record de France de l'heure, vieux de cinquante-sept ans. Sa marque est établie à 49,408 km. Il a vécu une heure à tourner comme un damné. «La plus belle heure de ma vie», souligne-t-il. Dimanche, il était encore tout meurtri aux jambes, adducteurs et à la nuque, cabossé comme après sept heures de pavés.

François Lamiraud est un vrai porion du cyclisme. Un peu gêné d'avoir explosé le record de Roger Rivière, une légende, le rival de Jacques Anquetil, dont le destin s'est fracassé dans une descente du Perjuret, en 1960, dans les Cévennes. «Mon vélo à moi, c'est partager des émotions avec les gens que j'aime, dit Lamiraud. J'ai eu des frissons à regarder Paris-Roubaix, ma course préférée, mais je n'ai aucun regret de n'être jamais passé professionnel. J'aurais seulement été un équipier…»

Fils d'une psychologue et d'un fonctionnaire des impôts, ce Stéphanois, 32 ans, joint les deux bouts grâce à son commerce de cycles et à son petit contrat avec le Team Vulco-Vélo Club Vaulx-en-Velin. Il gagne «beaucoup moins» que 2 906 euros par mois, le salaire plancher d'un néo-pro dans une équipe de première division. Et bien moins que les plus de 100 000 ou 150 000 euros auxquels peut prétendre un John Degenkolb.

Moustache. D'ici le Tour de France, le vainqueur de Paris-Roubaix 2015 va s'octroyer quelques congés payés puis s'en ira parader au festival de la saucisse-moutarde le 1er mai, aussi connu comme Grand Prix de Francfort. Sa petite moustache bien ajustée, il fendra la foule de ses supporters et ravira la presse conquise par le fameux «renouveau du cyclisme allemand». Quant au recordman de France de l'heure, François Lamiraud, il retrouvera les courses de sous-préfectures, laborieuses mais heureuses, telles le Circuit de Saône-et-Loire, au cœur d'un autre bassin minier.