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Libération
Reportage

«Une parenthèse dans la vie de SDF»

Des sans-abris avancent vers la réinsertion en pratiquant toutes sortes de sports en Normandie, lors de stages intensifs qui leur permettent aussi de nouer des liens.
Lors du stage à Houlgate (Calvados), le 1er avril. (Photo Adeline Keil)
publié le 23 avril 2015 à 18h16

Ils se sont retrouvés début avril au centre sportif de Normandie, à Houlgate, dans le Calvados. Pour une semaine intensive : footing à 6 h 45, suivi d’une séance de yoga avant le petit déjeuner, puis foot, équitation, tir à l’arc… Ce jour-là, au programme, c’était frisbee. Un match entre les verts et les rouges. Costel, Mario, Franck, Djaffar et les autres se disputent le cercle de plastique qu’ils doivent lancer au-delà de l’en-but. Bousculades, cris de joie lorsqu’ils parviennent à marquer un point. Ils se donnent à fond et terminent en sueur. Et heureux. Des cadres en séminaire ? Des gamins en vacances sportives ? Non. En dehors de cette parenthèse normande, où ils dorment en chambre individuelle et mangent à leur faim, ils vivent en centre d’hébergement ou dans la rue, et se côtoient de temps en temps via l’association la bagagerie d’Antigel, à Paris, où on peut apporter ses valises, faire un brin de toilette et pratiquer divers loisirs.

S'ils sont réunis à Houlgate, c'est grâce à Benoît Danneau, porteur de projet de l'association Un ballon pour l'insertion, à l'origine de ces stages pour SDF. «Ce séjour nous fait prendre conscience qu'on est capable de faire des choses, qu'on n'est pas foutus», témoigne un ancien participant. «C'est une parenthèse dans leur vie. Nous, on essaie de créer une valeur ajoutée», explique Benoît Danneau.

Corps. Le sport les aide : il les fatigue mais les «redynamise», leur permet de remettre en mouvement et de montrer ce corps qu'en temps normal ils dissimulent sous des couches de vêtements. «La réappropriation de leur corps par l'initiation sportive, cela leur fait un bien fou, constate Benoît Danneau. Ils ont envie de se dépasser, et on les encourage à le faire. Après le séjour, ils ont davantage envie de faire des démarches pour eux-mêmes.» Il n'y a pas que du sport dans ces stages de «remobilisation». Sont aussi proposés des séances de peinture, un rallye-découverte de la ville, un atelier d'écriture.

Ce jour-là, réunis autour d'une table, ils participent à un travail autour du rêve. Ils jouent à «si j'avais 20 ans». «Je deviendrais avocat parce qu'en France on discute de tout», écrit Guyto. «Le paradis serait de vivre sans argent tout en pouvant se satisfaire dans les nécessités urgentes», rêve Serge. Le sport irrigue l'imagination de certains : «Si j'avais la possibilité de réaliser un rêve, ce serait de courir un marathon, estime Costel. Si j'avais 20 ans aujourd'hui, je ferais plus de sport pour affronter l'avenir.» Guyto a longtemps habité au Venezuela où, lors d'une rixe, il a pris une balle dans la jambe, ce qui le handicape un peu pour le sport, mais ne tempère pas son enthousiasme : «C'est fantastique d'être là. C'est un changement d'horizon. C'est bon pour l'intégration, cela nous contamine l'esprit, cela nous active, nous fait bouger un peu.» Pour décrire l'ambiance, Djaffar parle comme un entraîneur de foot. «On le vit comme un groupe, pour que ce soit une réussite. Ce ne sont pas des vacances, il n'y a pas de grasse matinée, pas de fainéant. Tout le monde joue le jeu, c'est ça qui est bien, apprécie celui qui a choisi les participants. J'ai pris des gens calmes avec qui je suis sûr qu'il n'y aura pas de problèmes.»

Le soir, un «temps d'échange collectif» permet à chacun de commenter la journée. «Une des plus belles de ma vie, dit Guyto. J'ai reçu des énergies positives, notamment au cours de yoga où Laurence [l'animatrice, ndlr] nous a aidés à comprendre pourquoi on était là.» «Pendant le stage, il y a une vraie rupture, analyse Benoît Danneau. Ils sont en train de décrocher, de laisser de côté leur vie d'avant. Les repas pris à la cantine sont de vrais repas de famille. On est là pour se découvrir, je leur dis : "Profitez-en, faites-vous plaisir."» Après Houlgate, les stagiaires se revoient pour une activité ensemble. La dynamique de groupe n'est pas cassée. Et les organisateurs prennent régulièrement des nouvelles de leurs ouailles.

Esprit. Ainsi, de loin en loin, on sait qu'untel a quitté son garage, qu'un autre a retrouvé un petit boulot, qu'un troisième est toujours dehors. «Après le séjour, ils sont boostés, poursuit Benoît Danneau. Même si tous les participants ne sont pas prêts à reprendre un boulot ou à entamer une démarche de réinsertion.» Ce stage de «remobilisation» n'a de toute façon pas vocation à régler tous les problèmes, mais à aérer le corps et l'esprit. Comme les autres, Frank est enthousiaste : «L'air de la mer fait du bien à tout le monde. Cela permet de découvrir d'autres gens et de savoir un peu ce qu'ils ont dans la tête, ce qu'on ne fait pas trop à Paris.» Frank est sosie de Claude François, dont il connaît toutes les chansons. Pendant le stage, il a même improvisé un mini-gala. Il a surtout pris des résolutions : «Il faut que je continue à m'entraîner après le séjour.» Frank s'est inscrit aux 15 kilomètres de Versailles.