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Libération
Interview

«Depuis ma maladie, il y a plus de concentration chez mes joueurs»

Eric Girard, le coach du Portel, qualifié pour la finale de la Coupe de France de basket, bataille avec les séquelles d’un cancer des cordes vocales.
Eric Girard, le 30 avril au Portel (Pas-de-Calais). Le club de Pro B affront Strasbourg (Pro A) dimanche en finale. (Photo Aimée Thirion)
publié le 29 avril 2015 à 19h16

Ils ont battu Limoges, locataire de Pro A, le 2 avril, 88-81. Les joueurs du Portel, pensionnaires de Pro B, ont réussi l'exploit, en demi-finales de la Coupe de France de basket. Et dimanche, ils affronteront Strasbourg en finale. «C'est un peu comme Auxerre qui rencontrera le PSG en finale de la Coupe de France de foot, compare Eric Girard, le coach du club du Pas-de-Calais. Au Portel, à part mon assistant et moi qui avons connu le haut niveau, on part de très loin. En même temps, si on est à 200%, si on est capables d'être intelligents dans l'organisation, cela reste un match à jouer.» Eric Girard s'exprime comme n'importe quel coach. Ce qu'il n'est pas. Il parle en actionnant un bouton posé sur sa gorge, conséquence d'une opération suite à un cancer des cordes vocales. Pour les entraînements, il utilise un casque sans fil relié à des enceintes. «Ma voix est ainsi amplifiée avec la puissance dont j'ai besoin», explique-t-il. Mais on peut être coach de haut niveau «sans avoir besoin de crier. En s'exprimant avec son corps, avec ses yeux».

Le cancer

«On l’a découvert il y a trois ans, c’est le cancer du fumeur alors que je n’ai jamais fumé. J’ai fait de la radiothérapie, j’étais guéri à 95%. Après quelques mois, j’ai fait une récidive, et j’avais quatre mois à vivre si on ne m’opérait pas. Aujourd’hui, c’est stabilisé par rapport aux cordes vocales. Ils ont enlevé toute la partie malade. Après, dans le reste du corps, on ne sait pas ce qui peut se passer, mais on peut considérer que je suis guéri à 100%. Quand on passe à quelques mètres de la mort, on voit les choses de façon différente, même si la passion de mon métier reste intacte. Il n’était pas question que je tourne la page du sport de haut niveau à partir du moment où j’ai des résultats et où on réalise qu’on peut y arriver de manière différente. Le jour où je verrai que je ne suis plus utile à mon équipe, je saurai partir.»

Les joueurs

«Depuis ma maladie, il y a une vraie concentration chez eux. Ils sont très respectueux du problème qui m’est arrivé, de la méthode avec laquelle je fonctionne. Ils sont conscients de la façon dont j’ai lutté pour être là, et moi, j’arrive à leur apporter un plus, à l’image des résultats d’aujourd’hui.»

Le nord de la France

«Aucun endroit n'accueille mieux que le Nord. C'est la réputation qu'ils ont, elle n'est pas usurpée, ils vous donnent tout. Il y a eu un véritable élan de solidarité quand ils ont appris ma maladie. Quand j'ai fait ma récidive, j'avais déjà entraîné quelques mois ici, je suis allé voir mon président. Je lui ai dit que j'allais devoir m'arrêter un petit moment, et il m'a dit : "Coach, je sais ce que tu es capable de faire." Il m'a resigné un contrat de deux ans sans savoir comment j'allais pouvoir revenir.»

Le haut niveau

«Dans le sport professionnel, il y a beaucoup de paroles, mais pas toujours les gestes. Quand la lumière s’éteint, il n’y a plus automatiquement la même solidarité. Je me sens un peu redevable de tout ce que les gens m’ont apporté. Peut-être qu’un jour, Le Portel ne voudra plus de moi ou que je vais retrouver la Coupe d’Europe et le plus haut niveau. Je suis compétiteur, j’aime le plus haut niveau et j’ai envie de retrouver l’Europe, mais je ne le ferais pas n’importe comment. J’ai cela dans un coin de ma tête depuis un an et demi. Aujourd’hui, je pense que j’ai gagné le match contre ma maladie. Je n’ai aucune crainte dans mes capacités. Quand on entraîne sept à huit fois par semaine et qu’on fait trois matchs en Pro B, on peut le faire aussi en Pro A.»

Le métier d’entraîneur

«C'est plutôt une vie solitaire à l'intérieur d'un groupe. On ne peut pas faire la fête, ni inviter ses joueurs à la maison. Il faut avoir un vrai sens de l'anticipation. Il faut aimer les hommes, être capable de "tough love", être dur sur l'instant, exigeant avec soi-même, prendre des décisions dures (quand on doit sanctionner ou se séparer d'un joueur). Il faut pouvoir passer du père Fouettard à celui qui va réconforter, féliciter, d'un moment à un autre. Il faut être capable de se remettre en question, quel que soit son palmarès.»

Le futur

«J’ai 50 ans. Je ne suis pas pressé de connaître mon avenir. Connaître mon présent me suffit, avec qui je suis et avec qui je pourrai discuter des prochains matchs. J’ai eu la chance de gagner des titres tôt et d’être reconnu tôt dans mon métier. J’ai été sans doute jeune con. Je reconnais bien humblement que j’ai sans doute axé ma vie et mon métier sur les résultats, ce qui m’a fait passer à côté de personnes riches. L’âge, l’expérience et la maladie aidant, j’ai des visions un peu différentes et des envies d’échange et de partage avec un président, un journaliste, un partenaire ou d’autres. Il y a des gens qui voient toujours la bouteille à moitié vide, moi, je la vois toujours à moitié pleine. Je suis optimiste, je n’ai pas de raison de me plaindre.»