Menu
Libération

Le Giro s’attaque à l’hégémonie du Tour

Vélo. En développant son marketing, le Tour d’Italie espère concurrencer l’épreuve de son voisin.
publié le 10 mai 2015 à 21h26

Le Tour d'Italie grattouille le Tour de France. «La plus dure course au monde dans le plus bel endroit du monde» (son slogan !), partie samedi de San Remo, entend défier «la plus grande épreuve cycliste» tout court. Son objectif, assez utopique, consiste à devenir la course numéro 1 dans le cœur des supporters. Et, surtout, dans le portefeuille des sponsors.

Le Tour garde une franche longueur d'avance. En notoriété. Et en chiffre d'affaires aussi : Amaury Sport Organisation (ASO), la société organisatrice, a généré 179 millions d'euros en 2013 contre 47 millions en 2012 pour les Italiens de RCS Sport. «On ne conteste pas la position du Tour, déclarait l'an dernier le directeur transalpin, Mauro Vegni. Mais nous avons, depuis dix ans, réduit l'écart qui sépare le Tour et le Giro. Il y a encore beaucoup de travail à faire, mais on ne souffre d'aucun complexe.»

Provocation. L'affrontement débute en 2008, avec l'arrivée de Michele Acquarone chez RCS Sport. Cet expert du marketing, licencié en 2012 mais dont l'héritage «business» demeure, posait une question centrale : pourquoi le Tour domine-t-il à ce point le Giro ? Ces épreuves semblent taillées sur le même modèle : centenaire, prestigieux, dépendant de maisons mères qui perdent de l'argent en général mais en gagnent grâce au vélo. D'un côté le groupe Amaury (propriétaire de l'Equipe et du Parisien), de l'autre RCS MediaGroup (la Gazzetta dello sport et le Corriere della Sera en Italie, El País en Espagne).

Première provocation : le Giro a proposé que son épreuve soit organisée en juillet une année sur deux, en alternance avec le Tour. La fédération internationale (UCI) n’a même pas ouvert le débat. Alors, les Italiens ont dégainé une arme diabolique : la rétribution des équipes participantes. Acquarone s’est déclaré favorable à un reversement des droits télévisés auquel ASO se refuse. En attendant de mettre ce projet à exécution, le Giro aligne la monnaie pour attirer les stars : jusqu’à 2 millions de dollars (chiffre sans doute surestimé) pour Lance Armstrong en 2009. Ce qui a permis à RCS de remporter une victoire en mars, quand Tirreno-Adriatico, une de ses épreuves, a réuni un plus beau plateau que Paris-Nice, course ASO. A l’international, le duel Tour-Giro touche à son paroxysme. Limités par l’économie récessive de leur pays, les organisateurs veulent séduire les villes plus riches. L’an passé, ASO a ainsi fait payer 13,7 millions d’euros au Yorkshire, en Grande-Bretagne, pour donner le coup d’envoi du Tour. Beaucoup plus que les 4,7 millions consentis par Belfast, en Irlande du Nord, pour lancer le Giro.

Neige. RCS a pris sa revanche au Moyen-Orient : l'entreprise organise le Tour de Dubaï et celui d'Abou Dhabi, tandis qu'ASO sous-traite les Tours du Qatar et d'Oman, dont l'avenir économique semble moins florissant. Jusqu'à cette bataille avec la Grande Boucle, le Giro assumait sa place de numéro 2. Trop occupé à soigner ses charmes, il se régalait d'étapes courues parfois sous la neige ou sur des chemins de terre, cultivait un âge d'or retracé par Dino Buzzati. Un habitué de l'épreuve se veut rassurant : «Le Giro n'a pas perdu son romantisme, il sait simplement mieux le vendre.»

A observer le déploiement du marketing, il y a donc un peu du Tour dans le Giro. L’inverse est vrai aussi. Depuis au moins deux ans, ASO apporte un style spectaculaire à son parcours souvent classique, ajoute à l’envi des côtes anti-sprinters et des secteurs pavés, entre autres pièges. Une riposte nécessaire pour continuer, comme depuis la création du Tour en 1903, à faire la course en tête.