La mémoire, suite : de celui ou celle que l'on a été ou de l'idée que l'on se fait de soi, de manière générale, elle évolue moins vite que le corps qui vous porte. En première semaine, il ne faut pas chercher le cœur du tournoi sur les autoroutes empruntées par Sharapova et consorts. Il ne bat jamais aussi fort qu'au bord d'un court où un boy next door/une girl next door crache ses derniers feux alors qu'il/elle aurait aussi bien pu regarder le tournoi (ou pas) à la télé depuis une paire d'années. Pour l'édition 2015, cette catégorie a sa chevalière : Virginie Razzano, 251e mondiale alors qu'elle fut 16e à son sommet en 2009, 32 ans, opposée mercredi au deuxième tour à l'Espagnole Carla Suárez Navarro, tête de série numéro 8 du tournoi.
«Messe». Lundi, après avoir sorti une Paraguayenne de 23 ans au mortier, la Dijonnaise de naissance - elle a grandi à Nîmes - a pris ombrage des mines compassées des journalistes. Eux savaient la souffrance. «Je préfère ne pas parler [des douleurs abdominales qui l'ont contrainte samedi à abandonner lors des demi-finales du tournoi de Strasbourg, ndlr]. Je gère.» Puis : «Mais vous avez de ces questions ! J'ai gagné, non ? On ne peut pas parler de choses plus positives ? Vos questions ne sont pas faciles car je suis encore en course, je ne veux pas laisser croire à ma future adversaire que ce sera facile.»
Début 2015, Razzano a coupé avec le tennis : «Des soucis familiaux. C'était très important pour moi de rester auprès de cette personne.» Les ennuis lui sont tombés dessus tôt, à la fin de l'adolescence. Avant ça, elle a été une élève prodige : championne de France junior alors qu'elle était cadette première année, l'Open d'Australie et Roland-Garros juniors au palmarès.
Cédric Nouvel, qui l'a entraînée pendant vingt ans et qui s'occupe du Tennis Club de Nîmes : «Elle avait une main, la coordination, mais j'ai été frappé par autre chose : quand tu lui parlais tennis, c'était comme si elle écoutait la messe. Je me souviens d'une petite très sérieuse jusque dans sa mise : petite jupette, petit haut, la queue-de-cheval impeccable. Je me rappelle une anecdote. Elle avait 11 ans et le préparateur physique, absent, lui avait laissé un programme par écrit. Il fallait une heure et demie pour l'exécuter. Elle l'a appliqué en totale autonomie. Son père est passé la chercher dix minutes avant qu'elle termine : "Va d'abord chercher ma petite sœur." Et elle a bouclé les exercices.» Quand on demande à son ex-coach s'il reconnaît, à travers les médias, la fille qu'il avait accueillie, il répond plutôt non : «La gentillesse et l'empathie sont là. Mais son parcours de vie accidenté a modifié les choses, les repères, les angoisses.»
Non-dits. Le public connaît le pire, la mort pour cause de tumeur au cerveau de son compagnon et ex-coach Stéphane Vidal, en mai 2011, les larmes huit jours après, lors d'un tournoi qu'elle lui avait promis de disputer. Il ne sait pas le reste. Ni les blessures dont l'une, au coude, l'a fait lâcher la raquette huit mois ni les croyances et non-dits - certains ont été surmontés - mis en place pour affronter les épreuves. Ça donne une fille moyenne en rien. Nouvel : «Le talent et l'écoute qu'elle avait au départ laissaient penser à mieux. Mais si on regarde ce qu'elle a traversé, on ne s'explique pas ce qu'elle a accompli, ou à peine.»
Lundi, elle a ressorti son service à la cuillère «vintage», celui qu’elle avait exécuté contre Serena Williams, meilleure joueuse de tous les temps, que la Française avait sortie sur le court Philippe-Chatrier en 2012. Une ruse pour déstabiliser sa jeune adversaire ? Une évocation du plus grand jour de sa vie sportive ? Un jeu avec le public ? Non, ses abdos en souffrance. Ce qu’elle n’a pas dit.