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«Fifa Nostra» : le Brésilien José Hawilla, pris dans son Traffic

Inculpé dans le Fifagate, le roi déchu du marketing sportif en Amérique latine a plaidé coupable et accepté de payer 151 millions de dollars d'amende.
Devant le siège de Traffic, la société de marketing sportif de José Hawilla, impliqué dans le Fifagate, à São Paulo au Brésil, mercredi. (Photo Nacho Doce.Reuters)
publié le 28 mai 2015 à 15h10

Ce Brésilien est une des vedettes du Fifagate. On ne le connaît pas trop en Europe, mais il devrait percer rapidement, car il a du talent. José Hawilla, 71 ans, a commencé comme journaliste, présentateur de télé dans les années 70. Puis, fort de sa proximité avec l’ancien président de la fédé brésilienne de foot (CBF) Ricardo Texeira, il a fondé une entreprise de marketing sportif, habilement dénommée Traffic, qui a, pendant trois décennies, négocié − et obtenu − les droits télé des compétitions majeures de foot en Amérique du Sud. Si bien que son conglomérat, qui a engrangé pour 500 millions de dollars (460 millions d'euros) de revenus, notamment avec Nike et Coca-Cola, est devenu numéro un dans la région.

Comment ? Tout simplement en graissant des pattes, si l’on en croit l’acte d’accusation publié mercredi par la justice américaine : nombre de ces deals ont donné lieu à des commissions illicites et des pots-de-vin payés à divers officiels de la Fifa. Puis Hawilla s'est fait pincer, et il est l’un des quatre inculpés qui a accepté d’aider la justice américaine dans cette enquête où quatorze personnes, dont neuf officiels de la Fifa, sont poursuivies. Le 12 décembre 2014, Hawilla a lui-même plaidé coupable de racket, blanchiment, fraude et obstruction à la justice. Il a accepté de payer 151 millions de dollars d’amende, sur lesquels il a déjà versé 25 millions. Il est en liberté.

Démarrée comme une petite boîte d’affichage publicitaire, sa multinationale a d’abord été basée à São Paulo puis s’est étendue aux Etats-Unis, à mesure que grossissaient les enveloppes de corruption : au départ des centaines de milliers de dollars, transformées au fil des ans en dizaines de millions. Selon la justice américaine, dans le dernier gros deal que Hawilla a négocié en 2013, à savoir les droits télé pour quatre éditions de la Copa America (2015, 2016, 2019 et 2023), le consortium auquel Traffic appartenait, dénommé Datisa, a accepté de lâcher 110 millions de dollars de pots-de-vin, pour un contrat total de 317,5 millions avec la Conmebol, la Confédération sud-américaine de football, qui était, selon les enquêteurs américains, demandeuse en la matière.

Hawilla utilisait divers canaux pour blanchir l’argent, notamment des comptes en Suisse. Et il faut dire que son business était par ailleurs florissant. A la Copa America 2007, Traffic a engrangé 64,2 millions de dollars de chiffre d’affaires, et 29,1 millions de bénéfices : ça vaut le coup de glisser quelques enveloppes… Mais ces profits maousses donnaient le vertige aux officiels de la Fifa, de plus en plus gourmands : de 2007 à 2011, le sponsorship de la Copa America a triplé de volume.

Et le groupe Traffic a dû se battre pour rester en tête. Un temps grillée par un concurrent, l’entreprise a porté plainte en Floride contre la Conmebol, mais tout ce beau monde a fini par s’arranger : les trois concurrents sur le marché ont formé une entreprise commune, Datisa, en 2013, celle qui a récupéré le marché à 317,5 millions d’euros − plus les 110 millions de pots-de-vin, dont 40 ont été payés à ce jour.

Traffic s'est aussi illustrée en négociant le sponsoring maillot de l'équipe du Brésil pour dix ans à partir de 1996, avec une «compagnie de sportswear» non identifiée dans l'acte d'accusation, Mais il s'avère que depuis cette date, les joueurs brésiliens, précédemment habillés et chaussés par Adidas, furent équipés par Nike. On en déduira ce qu'on veut. Le marché a été conclu à 160 millions de dollars, sur lesquels Hawilla a touché sa part (5%), dont il a reversé quelques millions en pots-de-vin à un responsable de la fédé brésilienne.

Selon l'acte d'accusation, Nike a en outre payé à cette occasion 40 millions de dollars en «frais de marketing» à une «filiale de Traffic ayant un compte en Suisse ». L'équipementier américain n'a pas réagi directement à ces informations, indiquant simplement qu'il coopérait avec les autorités.

Selon l'agence de presse Reuters, Hawilla était tellement puissant qu'il avait réussi à faire évincer Pelé au début des années 90. Après avoir perdu un contrat de marketing au Brésil, la star avait affirmé à Playboy que Traffic avait usé de corruption pour le battre. Teixeira, alors patron de la fédé brésilienne et grand pote de Hawilla, avait poursuivi Pelé en justice et l'avait mis au ban pour ce délit de lèse-majesté. Mais aujourd'hui, c'est à la chute de la maison Hawilla que l'on assiste, et il entraîne notamment avec lui l'ancien président de la fédé, José Maria Marin, 83 ans, arrêté mercredi à Zurich.