S'il décroche la timbale à Roland-Garros, il deviendra une légende au Japon. Dans une rédaction rédigée à l'école primaire, Kei Nishikori avait écrit : «Mon rêve est de devenir un champion du monde. Je vais faire des efforts, étape par étape, pour réaliser ce rêve.» Et pour ne laisser planer aucun doute sur ses intentions, le Japonais de 25 ans, 5e joueur mondial, a sorti de sa raquette une nouvelle confidence il y a quelques jours dans les colonnes du quotidien The Independent. Il a raconté un épisode initiatique, vécu Porte d'Auteuil à 12-13 ans : «Il n'y avait pas de gardes devant le court central, alors je suis entré. Je regardais tout autour de moi et je rêvais à tout cela. C'est un bon souvenir.» Rien de mieux pour alimenter la «Kei-mania» au Japon.
Depuis un an, Kei Nishikori connaît une ascension aussi spectaculaire que régulière. Finale de l’Open de Madrid (terre battue) en mai 2014, finale de l’US Open (dur) quatre mois plus tard, troisième victoire au tournoi de Memphis (indoor), deuxième trophée d’affilée à Barcelone (terre battue) en avril, vainqueur tranquille de ses deux premiers tours à Paris… il est un outsider crédible à Roland-Garros cette année (il est directement qualifié pour les huitièmes après le forfait de l’Allemand Benjamin Becker et pourrait rencontrer Jo-Wilfried Tsonga en quart de finale).
Après avoir fait part, en début d'année, de son embarras de trôner dans le Top 5, il commence à se faire à l'idée, mais en mode mineur. «Ça va me demander un certain temps avant de gagner un tournoi du Grand Chelem. Mais je me sens bien, disait-il à Rome à la mi-mai. Je joue bien sur terre battue, je pense donc que j'ai une chance dans les deux prochaines années.»
Base-ball. Ambition esquissée et modestie affichée, c'est le style - calculé ? - de Kei Nishikori. Pas de bris de raquette, pas d'invective aux arbitres. Ne pas compter sur lui pour pimenter un tennis que certains trouvent trop aseptisé. Il s'aligne en humble qui doute, en calme concentré. Ça a fait mouche. Les Japonais se sont pris au jeu. Dans un archipel où le base-ball a valeur de religion sportive dans chaque quartier et dès le plus jeune âge, Kei Nishikori est devenu un visage connu, célébré et courtisé, pas seulement par son sponsor Uniqlo. Quand il est arrivé en quart de finale à l'Open d'Australie en 2012, son premier coup d'éclat, la chaîne de télévision NHK avait acheté les droits et diffusé la partie en direct en plein milieu de la journée. Il a perdu face à Andy Murray, mais il est resté dans le panthéon sélect des sportifs japonais brillant à l'étranger.
Car le jeune Nishikori est déjà entré dans l'histoire, sinon la légende. En septembre, après sa finale à l'US Open - jamais un tennisman asiatique n'avait atteint ce stade dans un tournoi du Grand Chelem -, il a eu droit à un éditorial élogieux dans le sérieux quotidien de centre gauche Mainichi Shimbun qui célébrait sa «performance exceptionnelle». Il a été propulsé dans le Top 5 des meilleurs joueurs mondiaux (une première pour un Asiatique), alors que Shuzo Matsuoka, le meilleur de ses condisciples, n'était parvenu qu'à la 46e place en 1992.
Opéré. Né en décembre 1989, dans le sud-ouest de l'archipel, Nishikori entretient avec le Japon une relation distendue. Il a quitté sa terre natale à 14 ans pour suivre une formation à l'académie Nick Bollettieri en Floride. Il jouait au tennis depuis l'âge de 5 ans comme l'a raconté son père. «On pourrait croire que c'était de mon fait, mais il ambitionnait déjà à 6 ans de jouer au niveau mondial», expliquait l'année dernière Kiyoshi Nishikori, le père de Kei. Qui confie quand même avoir choisi ce prénom pour qu'il soit «facile à prononcer pour les étrangers […] Nous voulions qu'il devienne ce genre de personne qui déploie ses ailes tout autour du monde».
Quand il atterrit en Floride, Kei Nishikori ne parle pas un mot d'anglais, sa famille lui manque autant que la nourriture japonaise. Pourtant cet exil sportif et culinaire l'a aidé. «C'était une bonne chose d'aller aux Etats-Unis, car après deux ans, je suis devenu plus grand et plus lourd. Le goût n'était pas meilleur, mais c'était bien pour moi, mon corps. La nourriture japonaise est saine, mais elle ne vous rend pas plus grand», a-t-il expliqué, du haut de son 1,78 m et de ses 68 kilos. «Aux Etats-Unis, je me suis également endurci mentalement, car je n'étais pas un battant quand j'étais chez les juniors», a-t-il livré mercredi après sa victoire au deuxième tour contre le Brésilien Thomaz Bellucci (7-5, 6-4, 6-4).
En Floride, le jeune Nishikori a élaboré son «projet 45». Il s'agissait d'atteindre la 45e place du classement pour battre le record de Matsuoka. Pas à pas, le Japonais avance patiemment. Il a intégré le groupe des 20 premiers, puis celui des 10, avant d'accéder au club des 5. L'année dernière, il a recruté comme coach l'Américain d'origine chinoise Michael Chang, vainqueur de Roland-Garros en 1989. Opéré à plusieurs reprises au pied et au coude, blessé au dos, Nishikori doit maintenant prouver qu'il s'est forgé un physique qui peut l'emmener au bout d'un tournoi du Grand Chelem.