Vous qui ne savez pas lire une carte marine et qui détestez les bretonnitudes, passez votre chemin. Ce portrait d’un coureur des mers lointaines sera avant tout une topographie locale. Les lieux évoqués seront positionnés par satellite avec les déterminismes en longitude et les élargissements du périmètre en latitude. Il n’y aura rien de vague, rien de flou. Jérémie Beyou est de ces skippeurs 2015 qui savent précisément d’où ils viennent et où ils vont. Car, pour se faire l’âme baladeuse, il leur faut avoir l’esprit de système.
A l'approche de la quarantaine, Beyou va tenter la passe de quatre sur la course en solitaire du Figaro, qui se lance ce week-end. Cela lui permettrait de prendre l'ascendant statistique sur Philippe Poupon, Jean Le Cam ou Michel Desjoyeaux, qui l'ont également remportée trois fois. Ensuite, il remettra du cœur à l'ouvrage pour surmonter l'outrage subi sur le Vendée Globe, qui le vit deux fois abandonner pour un mat brisé et une quille flageolante. Il a déjà le monocoque nécessaire pour être au départ de l'édition 2016.
1) Landivisiau / 48.51 N et 4.04 W. On ne peut être tout à fait mauvais quand on naît à Landivisiau, croyez-en mon expérience. On est dans le Léon, en bordure de zone légumière, choux-fleurs, artichauts, productivisme engraissé à la chimie, et qui s'essaie à une phase de détox. On est sous le vent de la base aéronavale avec vols de Rafale en condors passants. Et on entend encore ferrailler les sabots des chevaux, que l'on maquignonnait lors des anciennes foires. La mer peut bien rouler ses galets à 20 kilomètres, l'atmosphère est terrienne et commerçante. Les grands-parents tenaient boucherie tout à côté. Et la mère de Jérémie était coiffeuse.
2) Morlaix / 48.58 N et 3.83 W. Côté paternel aussi, les racines sont tout sauf maritimes. Son père a transformé la ferme familiale en concession automobile Volkswagen. Aujourd'hui, Beyou roule en break Passat, s'amuse à faire du kart et admire le pilote de F1 Sebastian Vettel. Au-delà des parentés entre les activités et des différences de rémunération, Beyou dit : «Vettel a du recul et de la lucidité. Il est resté accessible et simple, aux antipodes des paillettes de son milieu.» Et cela sonne comme un autoportrait rêvé.
3) Saint-Malo / 48.65 N et 2.01 W. Le père de Jérémie aime le baroud et la bourlingue. Il est partant pour toutes sortes d'aventures. Avec des copains, il construit un petit croiseur en aluminium. Jérémie Beyou se souvient du bruit des tôles et de l'odeur des soudures. La famille se plaît à ce cabotage tranquille. On mouille dans la Penzé, et on s'évade vers Brignogan ou Perros. Jérémie Beyou dit : «Cela m'a donné le goût de l'élément marin. Tout jeune, j'ai appris à lire une carte, à comprendre le jeu des courants. Cela ouvre l'esprit sur le large.» Et Beyou de souligner que ses rivaux grandis alentour, à Saint-Pol-de-Léon pour Armel Le Cléac'h, à Plougasnou pour Nicolas Troussel ou à Binic pour Yann Eliès, ont vécu la même initiation à la croisière. C'est encore avec son père que Beyou assiste aux départs de la Route du rhum à Saint-Malo. «J'avais l'impression d'avoir affaire à des extraterrestres», se rappelle celui qui est devenu un martien comme les autres. Au retour, ils s'arrêtent à chaque promontoire et braquent leurs jumelles pour tenter d'apercevoir les trimarans qui passent en accéléré, somptueux et livides, excessifs et fantomatiques, au large de la pointe de Primel ou de l'île de Batz. Ensuite, le collégien, qui deviendra lecteur monomaniaque d'aventures de mer, celles de Horatio Hornblower ou de Ces messieurs de Saint-Malo, suit le déroulé des hostilités en regardant Thalassa.
4) Carantec / 48.65 N et 3. 91 W. Jérémie Beyou se forme sur Optimist, la «caisse à savon» d'où est sortie la majorité des talents océaniques français. Il débute à un moment où le département du Finistère accomplit sa mue, se tourne vers la mer et investit dans le nautisme. Il navigue à Carantec au milieu d'une baie semée d'îlots de granit où cogner sa tête dure, où braver la rudesse des temps, où tempêter en pétrel. Il réaffirme son admiration pour son entraîneur d'alors. Bruno Jourdren est un sacré ouistiti. Handicapé après une chute de vélomoteur, il n'a qu'un bras valide. Cela ne l'empêche pas de traverser les océans, de se sélectionner pour les JO ou de réchapper d'un échouage en se hissant à la diable au sommet d'une falaise. A son élève, Jourdren tend un miroir jumeau 3 : «Jérémie est terriblement accrocheur. Il est de loin le plus tenace.» Confirmation de François Gabart, vainqueur du Vendée 2012 et qui vient de devancer Beyou lors du Rhum 2014 : «Il ne lâche rien. Il est teigneux, sanguin, et met beaucoup d'énergie dans tout ce qu'il fait.» Quelques-uns peuvent le décrire «hargneux, récrimineur, revêche». Beaucoup préfèrent pointer sa réticence à se mettre en avant, qui se double d'une fidélité indéfectible à ceux qui savent percer la carapace du grand type aux muscles secs et nerveux.
5) Brest / 48. 24 N et 4. 31 W. Comme beaucoup de ses rivaux, Beyou avait le profil pour intégrer une école d'ingénieurs. Au lycée, il s'intéresse au génie mécanique, au dessin industriel, façon d'en remontrer aux architectes et aux techniciens du secteur. Pour rester sur zone, il bifurque vers une école de commerce, Sup de co Brest. Cela lui apprend à vendre un projet, à gérer un budget. Depuis, il célèbre l'esprit d'entreprise. Il pilote sa société, emploie 8 personnes, se salarie 4 000 euros mensuels. Il s'affirme libéral économiquement, mais se réjouit d'être français et de payer ses impôts. Si les marins se proclament souvent écolos, lui est plus réservé sur la question. Il préfère parler de développement durable, et garde toujours le souci de la rentabilité.
6) Les Sables-d'Olonne / 46. 30 N et 1. 45 W. Pendant un mois et demi, Beyou a dressé un chapiteau près de la marina des Sables-d'Olonne. Il était son propre animal de cirque : 5 000 personnes ont défilé afin de voir à quoi ressemblait le marin. Beaucoup faisaient partie des 2 400 salariés de Maître Coq, le sponsor de Beyou, qui commercialise des nuggets, des pilons de poulets et des volailles fermières.
7) Lorient / 47.75 N et 3. 36 W. Jérémie Beyou passe 250 jours par an à naviguer. Quand il en réchappe, il fait escale à Lorient. Ses trois voiliers y ont leur paddock, et lui sa résidence. Sa femme y commercialise des sacs de voyage, coupés dans le tissu des voiles usagées. Ils ont deux fils, Achille et Jacques, 11 et 7 ans. Fan des sports populaires, Beyou adore le vélo. En pince pour Jean-Christophe Péraud, dont il célèbre la «tête bien faite, l'humilité, la simplicité». Sinon, il a un dilemme majeur à trancher. Il hésite entre soutenir l'équipe de foot de l'En avant Guingamp ou se rallier aux Merlus de Lorient. Qui se produisent tout près de son domicile.
Jérémie Beyou en 7 dates
26 juin 1976 Naissance à Landivisiau (Finistère). 2005, 2011, 2014 Vainqueur de la Solitaire du Figaro. 2008 et 2012 Abandons sur le Vendée Globe. 31 mai 2015 Départ de la Solitaire.