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Roland-Garros: les revenantes cherchent la revanche

La Croate Mirjana Lucic-Baroni et la Bulgare Sesil Karatantcheva sont des cabossées du tennis. Elles tentent de revivre.
Sesil Karatantcheva pendant son match contre l'Américaine Falconi, jeudi. (Photo Patrick Kovaric. AFP)
publié le 28 mai 2015 à 18h18

Mercredi, dans l’euphorie d’un «grand chelem» français (5 victoires pour les 5 joueurs en lice) et dans l’ombre qui nimbe le tennis féminin quand Serena Williams ou Maria Sharapova ne sont pas sur le pont, l’événement est passé presque inaperçu : la victoire de la Croate Mirjana Lucic-Baroni (7-5, 6-1) contre la Roumaine Simona Halep, finaliste l’an dernier. Jeudi, dans le matutinal anonymat du court n°5, la Bulgare Sesil Karatantcheva, sortie des qualifs, a cochonné les deuxième et troisième sets de son son match contre l’Américaine Irina Falconi pour s’incliner (6-3, 1-6, 2-6).

Lucic-Baroni, 33 ans, tombeuse au premier tour de la Serbe Jankovic, n'avait pas gagné un match à Roland depuis 2002 et voilà qu'elle tape dans la foulée une ex n°1 mondiale et l'actuelle n°3. Karatantcheva, 25 ans, fêtait cette année les dix ans d'une première et fulgurante apparition porte d'Auteuil : en 2005, alors 98e mondiale, elle avait atteint les quarts de finale, écartant au passage Venus Williams. Depuis, nada ou presque, des disparitions sans gloire en qualifs et une incursion au 2e tour en 2012.

Ce dixième anniversaire, la Bulgare ne l'avait pas en tête. Du moins l'a-t-elle assuré au journaliste du New York Times qui l'a rencontrée après sa victoire contre Jankovic. «Wow, dix ans, déjà dix ans, minaude-t-elle. A l'époque, j'étais jeune, j'étais une future star [l'année précédente elle avait remporté le tournoi juniors sans perdre un set, ndlr], j'étais une future superstar, je n'avais qu'à me laisser porter par les événements.» Ils se révéleront contraires. L'année même de son éclosion, elle se fracasse. Contrôle positif à la nandrolone (un stéroïde anabolisant), l'excuse avancée d'une grossesse ignorée suivie d'une fausse couche (rappelons qu'elle n'avait que quinze ans), cette défense balayée par des tests, et, à l'arrivée deux ans de suspension. Une sanction d'une sévérité inouïe et encore inédite dans un sport que la lutte antidopage n'a jamais obsédé.

«J'avais quinze ans, et en raison de mon âge, le nombre de tournois que je pouvais disputer était limité. Mais j'ai été jugée comme une adulte et j'ai pris la peine maximale», raconte-t-elle au New York Times. Que fait une apprentie championne de 15 ans mise au repos forcé ? Elle promet qu'elle va revenir. Elle reprend ses études. Elle sort. «Ne pas être obligée de me coucher à 20h30, c'était pour moi le summum de la liberté.» Et sa suspension purgée, elle reprend le tennis. La concurrence s'est densifiée. Les résultats ne viennent pas. Pour des raisons essentiellement financières, elle prend la nationalité kazakhe. Depuis octobre dernier, elle est redevenue bulgare. Son parcours à Roland-Garros devrait la ramener dans les 100 premières mondiales pour la troisième fois de sa carrière. Elle dit : «Je suis heureuse que tout cela me soit arrivé si tôt. J'ai 25 ans, je reviens en forme. Je crois que rien ne peut m'arriver auquel je ne sois pas préparée.»

Battue à coups de chaussures

La précocité, Mirjana Lucic-Baroni l’a aussi expérimentée. En 1999, elle a 17 ans et n’a pas encore accolé le nom de son mari au sien lorsqu’elle atteint les demi-finales à Wimbledon. Un an plus tôt, elle avait remporté le titre du double féminin à l’Open d’Australie (associée à Martina Hingis, alors 17 ans). Mais derrière la future star, on découvre vite qu’il y a eu un père tyran, un classique du tennis féminin. Lui, c’est Marinko, homme d’affaires prospère, ancien décathlonien et cogneur patenté de sa fille lorsqu’elle perd un match à peine cinq ans. Même cause, punition différente lorsqu’elle en a 14 : il la fout dans une baignoire et la frappe à coups de chaussures ; la correction dure plus d’une demi-heure.

Mirjana Lucic-Baroni après sa victoire contre Simona Halep, mercredi. (Photo Pascal-Guyot. AFP)

L’histoire de Mirjana Lucic, c’est fuir ce père avec sa mère et ses sœurs, sous la protection d’hommes armés, en 1998. C’est s’installer au Etats-Unis. C’est une dépression, les médicaments qui vous plongent dans le coltard. C’est une embrouille avec son agent. C’est une succession de blessures, l’obligation de s’aligner dans des tournois de seconde zone, une disparition totale des radars : aucune participation à un tournoi du Grand Chelem entre 2003 et 2009. C’est un come-back timide depuis 2010. C’est un quatrième tour au dernier US Open (son meilleur résultat en Grand Chelem depuis la demi à Wim en 1999) après une victoire contre Halep (déjà), noyée sous les larmes de l’émotion.

L'histoire de Mirjana Lucic, ce sont ces mots, mercredi soir après ce nouveau succès contre la Roumaine, d'une jeune joueuse de 33 ans : «J'adore le tennis même si parfois j'ai dit que c'est ce que je détestais le plus. J'adore le tennis, j'adore les matchs. Je l'ai toujours dit depuis que je suis toute petite. Parfois la vie a des tournants difficiles. Mais j'adore le tennis et tant que je pourrai jouer et que mon corps me permettra de jouer, je continuerai. Des moments comme aujourd'hui, devant des gradins pleins, contre une des meilleures joueuses du monde, sont extraordinaires. Quoi de mieux. […] Je ne pense pas que je vais jouer jusqu'à 40 ans mais j'essaie de saisir l'instant présent. J'ai raté quelques années, peut-être les meilleures années, c'est un fait, mais maintenant on ne peut pas revenir en arrière et on ne va pas se lamenter. Ce sont des moments comme aujourd'hui extraordinaires, où vous avez un court rempli, contre une des meilleures joueuses et que vous gagnez, c'est extraordinaire. Quoi de mieux ? […] Lorsque je regarde ma carrière, je suis très fière, très fière de la petite fille et de ce qu'elle est devenue.»