Menu
Libération
Profil

Jo-Wilfried Tsonga, décalage ou décollage ?

Roland-Garros 2024dossier
Après des sorties trop prétentieuses, le 15e mondial a l’occasion, en quart de finale à Roland-Garros, de se hisser au niveau de ses ambitions.
La «danse des pouces» de Tsonga après sa victoire contre Tomas Berdych, dimanche. (Photo G. Fuentes. Reuters)
publié le 1er juin 2015 à 20h26

Depuis quelques jours, des sosies du multiple vainqueur brésilien du tournoi Gustavo Kuerten arpentaient les allées de Roland-Garros pour on ne sait quelle opération commerciale. Le vrai est là aussi, en promo pour un bouquin. Qui est qui ? Par quelque bout qu'on le prenne, Jo-Wilfried Tsonga, dernier Français en lice dans le tournoi, en piste ce mardi en quart de finale face au 5e mondial japonais Kei Nishikori, les dépasse tous dans l'échelle du mystère. Demeure une image à la puissance expressionniste supérieure, en espérant qu'elle vienne de plus loin : la danse du joueur après le dernier point d'un match gagné, les pouces à l'horizontale et une rage existentielle qui semble sortir d'un coup quand il saute en l'air en frappant le vide avec ses poings. Ça dit a contrario que cette énergie n'est pas là avant : son compatriote Gaël Monfils et l'Espagnol Rafael Nadal donnent à l'inverse l'impression de s'allumer pendant le match.

Dimanche, après avoir détruit le Tchèque Tomas Berdych comme on enfonce un clou, le Sarthois de naissance a effleuré le sujet : «Mon problème sur le court, c'est que parfois je ne gamberge pas assez. Il faut que je fasse marcher mes neurones. Parfois, je suis trop pris par le jeu et j'oublie…» Puis : «Ma plus grosse faiblesse, c'est jusque-là de me disperser à un moment donné. J'ai 30 ans, je ne vais pas refaire mon revers, je ne vais pas passer quatre ans à essayer de changer ma technique au service ou ma volée ni quoi que ce soit, même s'il y a toujours des petites choses à travailler. La plus grosse marge que j'ai, c'est dans la gestion de mes matchs.» Dans la tête. Ses coachs sont à la planche : difficile de s'expliquer la différence de niveau entre les entraînements du joueur (exceptionnels) et la plupart de ses matchs (moyen plus). L'intéressé a un autre chantier sur les bras depuis novembre : la reconquête de son image, passablement écornée par son forfait en finale de Coupe Davis (la compétition par pays du tennis), suivi d'une escapade à quelques centaines de milliers d'euros pour aller disputer des exhibitions en Asie du Sud-Est en dépit d'une blessure à l'avant-bras. Tsonga a argumenté : «Je suis un joueur professionnel.» C'est de fait une histoire de décalage et elle mène assez loin.

DEUX CONNERIES

Exilé fiscal suisse ayant accumulé près de 15 millions de dollars (13,8 millions d'euros) de prize money - sans même parler sponsoring - en carrière, Tsonga profite à l'année des facilités offertes par le système fédéral français : coachs, soins, courts à disposition au centre national d'entraînement de Roland-Garros, aide financière pour payer les déplacements, sans même parler des sommes dépensées pour l'amener à ce niveau. Même dans le milieu, ça tousse un peu.

De plus, Tsonga restait sur deux conneries. La première : laisser entendre après la victoire de Stanislas Wawrinka à l’Open d’Australie en 2014 que, si le Suisse pouvait le faire, lui-même était éligible. Un contresens absolu au regard des canons ultraréalistes du sport de haut niveau : on ne gagne pas un tournoi du Grand Chelem parce qu’on est fort, on est fort parce qu’on le gagne. La deuxième : exhorter par avance le public lillois à soutenir bruyamment le camp tricolore en finale de Coupe Davis. Autant exiger d’une personne qu’elle tombe amoureuse de vous.

Ces deux sorties donnent la clé du joueur, ou du moins l'une d'elles : Tsonga vit depuis le début avec la certitude de ne pas être payé - en titres ou en passion - à la mesure de ce qu'il est. Une forme d'insatisfaction qui, de l'avis général, n'a pas pris racine dès l'origine : pour avoir grandi dans une famille ouverte (ses deux parents étaient enseignants) et stable, Tsonga n'est pas l'un de ces fracassés de l'enfance qui pullulent sur le circuit. Il faut regarder sa vie de tennis, dans ces «quinze années de galère» qu'évoquait le joueur dimanche : blessure sur blessure entrecoupée de retours tonitruants durant lesquels on l'a parfois senti mariole, du genre «là vous vous intéressez à moi alors que quand je suis dans le trou, il n'y a personne».

NETTOYAGE

Pour tout dire, on est un peu parti écouter ce son de cloche-là chaque fois que le bonhomme s'est présenté en conférence de presse depuis dix jours. On en a été pour nos frais. A Roland-Garros, Tsonga n'est plus ce joueur méfiant, répondant aux questions en fonction d'un calcul connu de lui seul, le gars qui avance et qui recule en même temps. Le joueur fait simple, ce qu'il impute à une sorte de nettoyage de son environnement : «Parfois, quand il y a trop de gens autour de vous qui envoient des vibrations négatives, vous pouvez le sentir. C'est le genre de vibrations qu'il faut éviter. Pour rester positif, il est important d'être entouré de gens positifs.» Ça n'a jamais aidé qui que ce soit à trouver sa vérité. Mais, dans son cas et à l'échelle des quelques mois qui peuvent faire basculer une carrière, ça peut sans doute servir.