Des centaines de supporteurs marocains se sont élancés sur la pelouse du Stade Mayol au coup de sifflet final, fumigènes et drapeaux à la main, en ce dimanche soir caniculaire. Leur équipe, les Lionceaux de l'Atlas, a du talent à revendre, et elle a tenu un temps l'équipe de France des moins de 20 ans dans ses griffes. Les petits Bleus ont fini par l'emporter (3-1), glanant la 43e édition d'un tournoi, le festival Espoirs de Toulon, qui a souvent porté très haut les couleurs d'une jeunesse mondialisée. Immersion.
Des Bleus et des bosses
Depuis les tribunes de Mayol, le spectateur aperçoit aussi bien les ferries mettre le cap sur la Corse que les contours des monts toulonnais. On a connu des endroits plus moroses pour regarder un match de foot. Après trois éditions délocalisées, le festival a ramé pour revenir disputer la finale dans cette enceinte annexée par le Rugby Club de Toulon. Le choc entre la France et le Maroc a déjà commencé depuis plusieurs minutes quand Bafétimbi Gomis, 12 sélections chez les grands Bleus, débarque dans les travées. Entre deux selfies, ce gars du coin raconte : «J'en ai vécu, de jolis moments, ici. Je me rappelle avoir vu Thierry Henry, David Trezeguet, Nicolas Anelka, Jean-Alain Boumsong, Ousmane Dabo…» De Jean-Pierre Papin à James Rodríguez, en passant par Hristo Stoitchkov, Zinédine Zidane, Alan Shearer ou Cristiano Ronaldo, les vitrines du festival ont longtemps été aguichantes pour les recruteurs du foot européen. Aujourd'hui, elles semblent moins garnies. «Le niveau est moindre, car le festival est placé entre le Mondial des U20, l'Euro des U19 et le Championnat d'Europe espoirs, explique le Danois Erik Larsen, l'ancien chef scout de Michael Laudrup, ex-entraîneur de Getafe et Swansea. Mais ça reste quand même intéressant, certains jeunes peu mis en valeur cette saison dans leur club en profitent pour se faire remarquer. Le défenseur central de la France, Presnel Kimpembe, est extrêmement prometteur.»
Le gamin de 19 ans évolue au Paris-SG, où il pourrait déjà représenter le quatrième choix à son poste derrière Thiago Silva, David Luiz et Marquinhos, vainqueur du tournoi avec le Brésil en 2014. Il a illustré la solidité d'une France parfois tourmentée par les dribbleurs marocains, mais jamais paniquée. «L'énergie mise par les joueurs en seconde mi-temps montre que Toulon représente encore quelque chose», dit en souriant le sélectionneur Francis Smerecki, les larmes aux yeux. Il quitte la direction technique nationale après dix à son service, il restera aussi comme l'homme qui a dit non aux quotas ethniques dans le foot français, en 2011.
Fabrice Olszewski, la vie sans Bielsa
Capitaine des Bleus et jeune défenseur de l'OM, Stéphane Sparagna s'arrête pour papoter un peu. Il a encore marqué en finale. «C'est mon deuxième but de la compétition, ça me fait bizarre comme sensation, je crois que je n'avais plus marqué depuis les benjamins !» s'exclame-t-il. On lui dit que Marcelo Bielsa, son entraîneur à Marseille, a dû apprécier. Sparagna se raidit: «Ah bon, il était là ? Il a vraiment dit qu'il était content ?» Voilà le pouvoir de l'ancien sélectionneur du Chili, et habitué du festival de Toulon : même quand il se trouve à des centaines de kilomètres, son aura sévère enveloppe les joueurs et les fait cogiter. Et que dire du président de l'OM. Ce soir, il attend encore, tremblant, qu'il veuille bien renouveler son contrat. A défaut de Bielsa, qui a préféré la finale de la Ligue des champions le week-end dernier, voilà Fabrice Olszewski, son interprète à l'OM cette saison. Un personnage baroque, fin comme une allumette, le catogan lissé sous une casquette, et qui parle espagnol avec un accent français à couper au cuchillo. Il est bénévole depuis dix ans pour le festival, s'occupe des délégations latines et sud-américaines. «Avant de tomber sur Bielsa, en 2008, j'ai découvert Angel di María [Manchester United, ex-Real Madrid, ndlr] tout môme. Un choc !» raconte-t-il. Il a passé douze jours avec les Costariciens : «Ils pensaient venir dans une compétition organisée par la Fifa, ils ont été un peu surpris au début. Mais après, ça s'est fait tout en décontraction.»
Olszewski cultive son côté roots, et ce tournoi lui a permis de respirer un peu après une saison dans le chaudron olympien. «Au bout de quelques mois, j'ai décidé qu'un an à l'OM suffirait, souffle-t-il. Ce n'était pas facile. J'ai quand même été interdit de vestiaire un temps, interdit d'infirmerie. C'était tout le temps la faute du traducteur…» Un jour d'août 2014, au centre d'entraînement, il a repris Bielsa devant tout le groupe, le trouvant trop dur avec un jeune joueur. Après lui avoir proposé un duel à mains nues dans les bois, le coach l'a finalement écarté un mois. Olszewski le dit sans filtre: «Le milieu du foot, très peu pour moi.» Il a claqué tout son (confortable) salaire marseillais, notamment pour offrir un long séjour provençal à sa fille, Fernanda, qui vit avec sa mère au Chili. Il va vite revenir s'installer à Santiago, pour être près d'elle : «Je n'ai jamais compris toute cette folie. Aller acheter des clopes me prenait une demi-heure, les fans de l'OM me sautaient dessus. Idem au restaurant. Et les sorties en boîte de nuit, je ne vous en parle même pas… Les nanas qui ne te calculent jamais se mettent soudainement à t'accoster. Il y avait un truc qui clochait, je n'étais que le traducteur.»
«Les Qatariens avaient tout, sauf le talent»
Au printemps prochain, le festival de Toulon accueillera principalement des sélections préparant les Jeux olympiques de Rio. Le Qatar sera peut-être au Brésil, mais sans doute pas dans le Var. Invitée pour la seconde édition consécutive, la sélection du Golfe a déçu. Trois défaites, un nul, neuf buts encaissés, deux marqués. La voilà avant-dernière de la compétition, seule la Chine a fait pire. Mais celle-ci n'a pas un Mondial et sept ans de lente construction qui l'attendent. «Cette saison, les Qatariens avaient tout, sauf le talent…» soupire un agent de joueurs venu prospecter. La délégation avait en effet fière allure : le staff, d'une vingtaine de personnes, était plus fourni que le groupe de joueurs. En son sein, un Irakien, un Libanais, un Grec, un Uruguayen, un Brésilien, un Tunisien, un Anglais… A leur hôtel de Bandol, le moindre gramme de riz blanc était pesé. Plusieurs joueurs sont passés par Aspire, l'académie de formation ultramoderne bâtie à Doha en 2006, et qui doit élever les champions de demain. Les footballeurs y sont choyés, mais les résultats mettent du temps à venir, et la sélection a même régressé par rapport au tournoi 2014.
Le Qatar n’a finalement glané qu’un trophée, celui de nation la plus prévenante : les dirigeants ont invité à Doha Maurice Revello, le patriarche de la famille qui chapeaute le festival depuis 1967, afin qu’il présente les secrets de fabrication de cette épreuve. On a hâte de voir le vieil homme tenter de leur expliquer les notions de bénévolat et de budget serré au centime près.