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Libération
Récit

Le Stade français revient plein gaz

On avait presque oublié les rugbymen parisiens depuis les années bling-bling à la Guazzini. Ils sont de retour avec tous les atouts pour enquiquiner Clermont ce samedi soir en finale du Top 14.
Antoine Burban (à gauche) et Rémi Bonfils, en déplacement à La Rochelle, le 10 avril. (Photo Xavier Leoty. AFP)
publié le 12 juin 2015 à 16h02

«Pink is beautiful !» La voix de Max Guazzini semble plus chevrotante qu'avant, il lui est plus difficile de reprendre les refrains de sa Dalida chérie, mais l'ancien mécène du Stade français n'a rien perdu de son enthousiasme enfantin : «Mon poste de vice-président de la Ligue nationale de rugby m'impose un devoir de réserve, mais bon…» Comment peut-il contenir ses émotions alors que sa madeleine retrouve la finale du Top 14 ce samedi soir (21 heures), sept ans après une nuit de sacre à Saint-Denis, déjà face à Clermont ?

Le reniement s'avère impossible pour celui qui a installé son équipe à domicile sur la pelouse du Stade de France et «des filles un peu dénudées sur le bord». Guazzini, parti en catimini à l'intersaison 2011, emporté par une tornade financière, la faillite de sa régie publicitaire et des escrocs canadiens, revit : «Dans cette équipe, quand je vois des gens comme Antoine Burban, je me dis que le Stade français est toujours aussi formidable. Je le revois dans mon bureau, à l'âge de 18 ans, avec son père. Il venait du PUC, tout le monde me prévenait : ''Il est ingérable, il n'est pas facile.'' Et on l'a pris.»

L’étoile Burban

Crâne dégarni, barbe fournie, le troisième-ligne aile a plané sur la demi-finale face au RC Toulon, vendredi dernier (33-16), proposant une mobilité déconcertante pour des avants varois bien plus épais que lui. «Il a failli se brûler les ailes, il est désormais plus discipliné, à tous les points de vue», assure Thomas Lombard, ancien trois-quarts du Stade français et des Bleus, aujourd'hui consultant pour RMC. Régulièrement blessé, Burban a plus souvent plaqué les pintes de bière dans les pubs de la rue Princesse, dans le 6arrondissement de Paris, que ses camarades à l'entraînement.

A 28 ans, revenu aux portes de l'équipe de France, il s'est improvisé nounou des Soldats roses, ces petits gars du coin qui ont assuré la continuité au Stade français ces dernières années. «En 2011, le club est repris dans des conditions difficiles par Thomas Savare [directeur général d'Oberthur Fiduciaire, société spécialisée dans l'impression de billets de banque et le paiement sécurisé, ndlr], l'équipe n'est pas très performante, rappelle Richard Pool-Jones, ex-joueur et directeur sportif du club, actuellement vice-président. La reconstruction est notamment passée par la jeune génération, des gamins repérés très tôt en Ile-de-France, formés au Stade par Pierre Arnald et ses entraîneurs. Ils sont très attachés au club, ils ont mangé bien du pain noir ces dernières saisons, mais ils ont fini par élever leur niveau d'exigence. Il faut les citer tous, ils me bluffent.»

L’arme de la larme

Recensons le pilier Rabah Slimani, grand copain du Toulonnais Mathieu Bastareaud, le talonneur Rémi Bonfils, le deuxième-ligne Alexandre Flanquart, l'arrière Hugo Bonneval, qui traîne sa peine à l'infirmerie, le centre colossal Jonathan Danty, coupeur de têtes, et, bien sûr, le blondinet Jules Plisson, blessé fin avril et qui a entamé une course contre-la-montre pour rejoindre le groupe des mondialistes du sélectionneur Philippe Saint-André. Plisson l'a avoué tout de go au Parisien cette semaine : «Dans le vestiaire, avant le barrage face au Racing (38-15), à Jean-Bouin, les larmes sont montées plusieurs fois. Je pense, pour la finale, avec la remise des maillots, tout ça, ça va être compliqué.»

Plisson est comme Guazzini : il n'a pas honte de pleurer, et il aime profondément ses collègues. En demi-finale, les Toulonnais, des grognards qui ont refroidi la France, l'Irlande et tout le Royaume-Uni pendant près de deux ans, n'ont pas résisté à cette exaltation. Avant le match, Bastareaud, fournisseur officiel de caramels salés et d'œil au beurre noir, nous confiait sa vision du Stade français : «Ils sont en plein élan, ils vont essayer d'emballer la rencontre, d'envoyer d'entrée. A nous de résister, puis de faire parler notre puissance en seconde mi-temps.»

Les Parisiens les ont ferrés du début à la fin. Le scrupuleux Thomas Lombard a noté un changement de dimension : «Cette formation a proposé un jeu ambitieux cette saison, elle propose une énergie et même une certaine irrévérence qui me rappellent mon époque. Mais entre la fin de la phase régulière et la finale, elle est passée du statut de bonne équipe à celui d'un prétendant aguerri. Elle est désormais capable d'annihiler les armes des autres, elle a dominé le Racing et Toulon sur la conquête. Contrecarrer l'adversaire, c'est une nouvelle force, une véritable plus-value.»

Une mêlée, un ouvreur, un manageur

En voyage d'affaires en Italie, Christophe Dominici, quatre titres de champion de France à l'aile du Stade français, apprécie la cohérence du projet sportif : «Le recrutement ciblé a permis de retrouver une mêlée qui faisait notre gloire par le passé, et un ouvreur qui revient à pic en phase finale, Morné Steyn. Avec des fondamentaux forts, tu peux voir plus grand. Et le manageur Gonzalo Quesada fait preuve d'une intelligence remarquable.»

Méticuleux, courtois, capable de scanner le cerveau et les états d’âme de chacun de ses joueurs, l’Argentin de 41 ans a fait ses débuts chez les rivaux du Racing avant d’être libéré au bout d’une petite saison, en 2013. Il suscite aujourd’hui l’unanimité, éteignant même la jalousie de tous les fans de sa femme, Isabelle Ithurburu, la présentatrice du rugby sur Canal +.

«La victoire est un mensonge»

Elle est peut-être la seule touche glam d'une équipe qui avait abandonné ses oriflammes bling-bling au fil des saisons dans le ventre mou du Top 14 alors que le luxueux Racing de Jacky Lorenzetti montait en flèche. Bien qu'attaqué au sein de sa famille, 53fortune de France, par des sœurs pas vraiment amatrices de carrures ciselées et de muscles saillants, le président Savare a injecté des millions, mais avec plus de discrétion qu'un évadé fiscal en Suisse.

«Il y a eu beaucoup de bruits autour du Racing et son recrutement XXL, mais le vrai club de Paris, c'est bien le Stade français, clame Richard Pool-Jones. Le Racing joue d'ailleurs à Colombes ! J'ai l'impression que nos joueurs ont pris conscience de leur importance lorsqu'ils ont investi le nouveau Jean-Bouin, en 2013, après des saisons ternes à Charléty. On avait presque oublié la vraie nature du Stade français, je suis content de la retrouver.»

Toujours (petit) actionnaire du Stade français, Dominici met un bémol : «Le sportif permettra de relancer le reste, l'affluence à Jean-Bouin, les sponsors, la marque Stade français. Pour cela, il faut gagner ce Bouclier. Qui se rappelle du vice-champion 2014, Castres ? La victoire est un mensonge, car elle efface les circonstances, les erreurs, les doutes. Mais un mensonge indispensable pour grandir.»